Le garçon et le héron, une fable enflammée sur la transmission

Le garçon et le héron, une fable enflammée sur la transmission

Dix ans après Le vent se lève, on n’attendait plus de films de la part du grand maître de l’animation. Hayao Miyazaki, 82 hivers au compteur, revient avec son douzième long métrage, Le garçon et le héron. Le vétéran japonais semblait pourtant occupé à d’autres affaires. Un parc Ghibli à ouvrir, un studio qui réduit ses ambitions, finalement cédé à Nippon Television Holdings en octobre, et l’œil sur les productions d’autres cinéastes, dont celles de son fils, Goro, qui finalement ne lui succèdera pas à la tête du modeste empire.

Pourtant, on sait depuis sept ans, qu’Hayao Miyazaki, auréolé d’un Cristal du meilleur film à Annecy, d’un Oscar du meilleur film d’animation, d’un Ours d’or à Berlin et de quatre Annie Awards, travaille sur un nouveau film. Le dernier? Le testamentaire? Même pas certain…

De l’autre côté du tunnel

Le garçon et le héron débarque ainsi sur les écrans avec autant d’attentes que d’angoisse d’être déçu. Pourtant, dès la première séquence, tragique, on comprend vite que Miyazaki n’a pas perdu la main. Son garçon, Mahito, pré-ado, est incarné en quelques plans. De cette chambre où il dort à la découverte de l’hôpital en flammes où travaille sa mère, la succession de scènes impressionne par sa fluidité et sa vélocité. En fuyant vers l’extérieur, en se confrontant au drame, Mahito nous fait regarder l’horreur de sa jeunesse en face. Une jeunesse en cendres. Comme toujours chez Miyazaki, l’ombre du conflit mondial des années 1940 plane sur le récit. Véritable hantise du cinéaste qui cherche, toujours, à rappeler l’effroyable destruction de ces guerres.

« – Elles mangents les humains? – Et aussi les éléphants. »

Le garçon et le héron pourrait presque être une suite à son précédent film, plus mélo, Le vent se lève. Il va nous embarquer dans une autre direction. Mahito, comme avant lui Sheeta, Ashitaka, Chihiro, ou Sosuke, va devoir affronter ses vérités et remettre son destin sur les bons rails en passant de l’autre côté du miroir, en l’occurrence, dans une veille bâtisse abandonnée, cachant des secrets fantasmagoriques.

Cela se fait toujours avec une rencontre. Ici, un héron cendré, aussi intriguant qu’inquiétant, pas forcément bienveillant et étrangement ambivalent. De la même manière qu’Alice a son lapin ou Elliott son extra-terrestre, Mahito suit instinctivement cet oiseau (de malheur?) jusqu’à ne plus se soucier des dangers encourus. C’est avec ce héron que le réalisateur nous conduit naturellement d’un monde réel, où rien ne va, à un monde fantastique, mystérieux. À moins que ce ne soit qu’un rêve hallucinatoire, un délire fiévreux, suite à un sale coup sur la tête…

Multivers miyazakien

Dans cet imaginaire plutôt abstrait que figuratif, Miyazaki est chez lui. Ces mondes parallèles illustrent l’inconscient d’une jeune garçon perturbé par la mort de sa mère, l’exil à la campagne, la cohabitation avec sa nouvelle belle-mère, enceinte. Une psychanalyse assez barrée autour d’un déni de réalité, où il doit se confronter à quelques démons pour mieux se libérer de ses traumas.

« Il se passe beaucoup de choses étranges ici »

Nous sommes en territoire familier : le manoir nous rappelle les demeures fastueuses et labyrinthiques de certains de ses films, les créatures et personnages secondaires ont des cousinages flagrants avec ses personnages ridés ou à gros nez, les petites boules blanches légères évoquent les Kodamas, l’attaque de papiers comme dans Le voyage de Chihiro, Himi qui fait écho à Calcifer, les portes menant aux univers parallèles rappelant la porte magique du Château ambulant , etc. À défaut de se réinventer complètement, le cinéaste impose son style singulier et ses ambitions artistiques à un film complexe.

Car Le garçon et le héron constitue avant tout une démonstration réussie du savoir-faire perfectionniste d’Hayao Miyazaki. Si, ces dernières années, l’animation japonaise avait exposé une relève haut-de-gamme (Mamoru Hosada, Makoto Shinkai, Naoko Yamada), on constate que le maestro de Ghibli reste sur son trône. Il suffit de voir comment il peut nous éblouir avec les textures et les dorures des tapisseries, les couleurs des vitraux, la luminosité des étincelles, les transitions des perruches monstrueuses en adorables petits oiseaux, la beauté de paysages idylliques aux tons pastels. Sans oublier la mise en scène. Un cadrage impeccable, un découpage habile, un montage sans heurts. Et s’il ne cherche pas à épater avec moultes effets, s’enlignant plutôt dans l’humilité et la sobriété des Ozu et Mizogushi que dans l’héritage spectaculaire d’un Kurosawa, le cinéaste sait marquer les esprits avec la simple image d’un monolithe flottant.

« C’est devenu difficile de fumer ces temps-ci »

Il n’a également pas perdu son sens de l’humour, et notamment son amour pour le burlesque, voire le grotesque (avec ces sept naines, de vieilles comères, curieuses, taquines et coquines).

La confusion des évènements

En fait, le principal reproche que l’on pourrait faire au film porte sur son scénario. Etonnant de la part de celui dont l’écriture était jusque là prisée pour savoir allier harmonieusement l’imaginaire au réel, l’onirique au psychologique. Le garçon et le héron, peuplé de subterfuges et de croyances, qui convoquent autant d’obsessions et de défiance, nous perd un peu dès lors que le héron, personnage dual et maudit, est démasqué et le garçon embarqué dans un autre monde. La confusion ne se dissipe jamais, même avec quelques explications qui demeurent énigmatiques. Trop de mystères et d’ellipses. Si l’illusion règne sur les rèves, il est clair que la dimension visuelle domine le récit.

Le spectateur est davantage fasciné par les animaux fantastiques (pélicans féroces, perruches tyranniques) que par leur rôle dans l’histoire. Notons quand même l’importance des femmes dans l’odyssée initatique de Mahito. Qu’elle soit belle-mère, pirate, servante, elles sont au cœur de la quête du garçon : retrouver sa mère. Cela passe par la connaissance de ses racines et la foi dans les légendes. On ne peut pas avancer sans savoir d’où on vient. Héros solitaire, Mahito est souvent plus contemplatif qu’acteur de son destin dans ce scénario poussif et verbeux, subissant son manque de dynamisme et de fantaisie.

« Ceux qui cherchent à comprendre périront »

Cela ne retire rien à la magie de l’ensemble. D’autant que le doyen du genre sait innover – des hommes zombies, des boules blanches gonflées à l’hélium, poupées quasi vaudous, etc. – et s’offre quelques audaces dans son monde à la fois beau et laid, infesté de créatures menaçantes et d’humanité, ne ménageant ni le narcissisme des uns ni l’orgueil des autres.

Un génie solitaire

Alors que les lois de la nature sont cruelles, il tente une fois de plus de transmettre le nécessaire besoin de coexister harmonieusement avec l’environnement. D’où l’idée de « transmettre » les savoirs, les connaissances, les contes et légendes. De là, un autre discours soutient le film, celui de la transmission. Tel ce vieil homme enfermé dans son monde onirique, avec son regard las et fatigué, cherchant à passer le flambeau à la génération qui suit, Miyazaki semble lui aussi perdu au milieu de ses merveilles en attendant un héritier. Reviennent alors le narcissisme d’un maître et l’orgueil d’un roi, incapable de reconstruire ou de léguer son château malgré tout son génie.

Plus que ses autres films, Le garçon et le héron est une œuvre mélancolique. Mais pas nostalgique. Plutôt désenchantée. La solitude du garçon se couple alors avec celle de son aïeul, mais aussi avec celle de son auteur. Dommage que cet enjeu dramatique, et intime, arrive si tardivement dans le récit. Tout comme l’action. Il faut attendre le dernier quart du film pour qu’il trouve son élan, installe le conflit et nous embarque dans une course vers la vérité et la résolution des problèmes. S’ajoute à cette attente, la brièveté (la furtivité?) de cette séquence aventureuse… Comme si Miyazaki voulait s’en débarrasser, au détriment de la compréhension de l’intrigue et du rythme du film. Comme s’il n’avait pas voulu oser la métaphore et l’introspection jusqu’au bout. La frustration est palpable.

Mais ne soyons pas amers. La splendeur du long métrage conjure tous ses défauts. Et chacun des personnages, bons ou mauvais, est attachant. En flirtant de très près avec la science fiction, Miyazaki et ses multivers signe un film fantastique, au propre comme au figuré. La perfection n’est pas de ce monde. La pureté non plus, comme il est si bien dit dans Le garçon et le héron.