Voyage au pôle sud : périls en la demeure des Empereurs

Voyage au pôle sud : périls en la demeure des Empereurs

15 ans après La Marche de l’Empereur, Luc Jacquet revient sur son « continent magnétique », l’Antarctique, l’autre pôle nord. Le voyage débute en Patagonie, encore épargnée, relativement, par la civilisation, et porte d’entrée vers le continent blanc.

Dans ce périple en « terra incognita », on se laisse hypnotiser par la magnificence de l’image, en noir et blanc, de la splendeur de ces espaces infinis. Voyage au pôle sud n’est pas documentaire animalier, même si les retrouvailles avec les manchots conduisent le cinéaste à se laisser une nouvelle fois séduire par ces étranges oiseaux.

Tout comme pour La panthère des neiges, l’exploration et l’observation sont noyés dans un pensum philosophico-existentiel. Luc Jacquet a opté pour le carnet de bord en voix off, soit le journal intime d’un explorateur dépassé par l’immensité de l’environnement et fasciné par cette nature aussi hostile que déshumanisée.

Paradis blanc

Dans son invitation à affronter les vagues et les tempêtes, le froid perçant et la solitude extrême, il plaide pour que cette terre reste vierge. Tout comme il alerte sur la menace climatique causée par l’Homme et qui pèse sur l’écosystème de cette étendue glacée. On peut souligner le paradoxe : le voyage se fait avec une compagnie de croisière réputée et haut de gamme, qui, même si toutes les précautions sont prises, permet à l’humain de jouer les touristes dans cette zone géographique dénuée de végétaux.

Mais comme il le dit : « L’Homme ne fait que passer, là où la nature se régénère toujours. Mais l’Homme colonise tout« . Illustration avec, au pôle sud, objectif de l’épopée, un drapeau, dérisoire et vaniteux.

Voyons donc ce Voyage au Pôle sud comme un témoignage utile, en espérant que ça ne devienne pas une archive nostalgique d’un continent disparu. Fantasme addictif pour Luc Jacquet, l’Antarctique est une merveille visuelle. Et là encore, tout comme dans Sylvain Tesson et Vincent Munier patientaient pour voir enfin cette secrète panthère des neiges, on attend, avec impatience, le moment où il sera de nouveau face à ses Empereurs…

Les Rois des neiges

Car l’Histoire se répète. Même si le voyage n’est pas le même, c’est bien cette coexistence temporaire entre Jacquet et ces manchots qui valent le détour. Loin des océans rugissants, loin d’un monde sauvage où baleines et phoques conquièrent les flots, il y a ce Royaume de glace, en apparence paisible, silencieux et vide. C’est ici que le cinéma trouve tout son sens, malgré la complaisance dans une esthétique trop papier glacé.

Plutôt que de cramer son empreinte carbone et d’amener ses miasmes sur ce territoire quasiment inviolé, mieux vaut aller voir Voyage au pôle sud pour contempler et admirer ces paysages de bout du monde, entre montagnes rocailleuses, falaises vertigineuses et plaines immaculées à perte de vue.

Bien sûr, on aurait aimer que la musique de Cyrille Aufort et la parole du cinéaste soient moins présentes pour profiter du son (ou de l’absence de son) de ces immensités. On s’interroge sur la discrétion du message écologique. On aurait sans doute préféré moins d’égocentrisme et plus de sciences. Les mêmes reproches qu’on avait fait à La panthère des neiges. Comme si le documentaire « nature » au cinéma, pour se distinguer des excellentes productions télévisuelles, cherchait un ton singulier, un style personnel, pour justifier son intérêt d’être diffusé sur grand écran. Vingt ans après Microcosmos ou les productions de Jacques Perrin, l’image ne suffit plus pour se différencier, et le propos pédagogique tombe souvent dans la redondance.

Inland Empire

On peut alors comprendre qu’un photographe comme Munier, un écrivain comme Tesson ou un écologue comme Jacquet cherchent de nouvelles formes, mêlant littérature, expérience personnelle et passion visuelle pour raconter la nature et le vivant.

Aussi imparfait soient-ils, ses films font de l’humain une anomalie et du cinéma une expérience sensorielle singulière. Mais c’est bien lorsque les manchots, stars réelles du film, surgissent à l’image que le Voyage au pôle sud devient réellement intéressant. On oublie les confessions psychanalytiques de Jacquet. On ne se focalise que sur ce peuple défiant blizzards et prédateurs. Là on se détache du réel, de notre monde, et on laisse s’envoler notre esprit, faisant voguer nos pensées vers cette écozone où les boussoles n’ont aucune pertinence.

À défaut de suivre la marche de l’Empereur, le spectateur entreprend un dépaysement salutaire. C’est le propre de l’évasion. Ce qu’on demande finalement à un film…