FICA 2024 : Cyclo d’or posthume pour « The Snow Leopard » de Pema Tseden, et retour sur la compétition

FICA 2024 : Cyclo d’or posthume pour « The Snow Leopard » de Pema Tseden, et retour sur la compétition

Pema Tseden était déjà venu au Festival des Cinémas d’Asie de Vesoul. Ses films en compétition ont été primés à chaque fois du Cyclo d’or (en 2016 pour Tharlo, le berger tibétain et 2019 pour Jinpa, un conte tibétain). Le FICA de Vesoul avait aussi organisé la première rétrospective de l’ensemble de son oeuvre, fictions et documentaires. Pema Tseden est décédé l’année dernière en mai 2023, soit quelques mois avant d’accompagner son nouveau film The Snow Leopard au Festival de Venise (où ces autres films avaient aussi été sélectionnés). Son ultime film était donc aussi en compétition à Vesoul et le jury lui a décerné le Cyclo d’or. Il devient ainsi l’unique cinéaste à avoir été récompensé ainsi par 3 fois au festival.

Retour sur l’ensemble des films de la compétition :

The Spark de Rajesh S. Jala (Inde) : 

Après une violente agression que l’on découvrira hors-champs que par le son d’un enregistrement, un attentat pourrait peut-être se préparer lors d’une célébration funéraire…

On y voit autant le travail de crémation des défunts que l’observation de fourmis. De manière générale, le ‘vivant’ est quelque chose d’éphémère. En particulier, avec des rivalités religieuses où s’invite la tentation d’une vengeance… La mise-en-scène joue beaucoup sur le hors-champs avec des enregistrements passés dont on n’entend que des sons, mais les images ne sont vues que par le personnages… et pas les spectateurs.

Scream de Kenzhebek Shaikakov (Kazakhstan) :

Dans une région méconnue où se déroule régulièrement des essais nucléaires (il y en a eu plus de 450 entre 1949 et 1989 !), on y voit quelques habitants continuer d’y vivre, et en particulier un père qui n’a plus de jambes qui élève seul son jeune fils.

Alors que parfois des responsables politiques se déplacent pour nier les impacts de ces essais qui causent la mort de plusieurs personnes, le jeune garçon espère que son père puisse se marier malgré son handicap. Le père sait bien que ça n’est plus possible sans ses jambes, mais un ami lui présente une femme étrange…

Paradise de Prasanna Vithanage (Sri Lanka) :

Un jeune couple d’amoureux en provenance d’Inde est en voyage à la découverte du Sri Lanka. Eux sont plutôt riches alors que le pays qu’ils visitent est dans une situation de banqueroute, envahi par des manifestations du peuple en colère contre leur gouvernement.

Une nuit des voleurs pénètrent dans la chambre de leur bungalow où ils se font voler leurs ordinateurs et smartphones. Le couple fait pression sur la police qui trouve alors trois suspects. Pour les faire avouer, l’un d’entre eux va être gravement tabassé au point de devoir être hospitalisé. La population localee va alors être encore plus en colère contre ces violences policières et ces touristes…

Sunday de Shokir Kholikov (Ouzbékistan) : 

Un vieux couple dans une maison isolée a l’habitude de leur vie simple et répétitive, lui est un peu bourru alors qu’elle est plutôt dévouée, le couple est soudé par leur vieillesse. Au fur et à mesure, leur fils, qui leur rend visite parfois de la ville, leur fait remplacer la vieille télévision par un nouveau modèle avec télécommande, la vieille gasinière par une nouvelle avec allumage automatique au lieu des allumettes, le vieux téléphone par un nouveau smartphone tactiles…

Leur quotidien se retrouve peu à peu chamboulé par ces objets modernes dont ils ne savent pas se servir. Autour d’eux ce qui est vieux est donc remplacé, et ils vont se rendre compte que eux aussi vont disparaître…

Maria de Mahdi Asghari Azghadi (Iran) :

Une femme tombe d’un pont sur une voiture, le conducteur qui préparait son mariage se rend alors compte qu’il connaissait cette femme transportée dans un état critique à l’hôpital. Il faut demander à la famille de cette femme une indemnisation pour la réparation de la voiture de location du mariage, et le futur marié va devoir dévoiler à sa famille qui était cette inconnue qu’il n’avait plus vu depuis deux ans…

En même temps, se trame une enquête sur cette cette chute (accident, suicide, elle avait été poussée ?), qui aurait un rapport avec un essai de casting pour un rôle au cinéma. Le ton du film est ambivalent en faisant peser le déshonneur d’une famille sur le comportement d’une femme plutôt que sur les traditions archaïques des hommes…

Work to Do de Park Hong-jun (Corée du Sud) :

Un jeune homme dynamique arrive à un nouveau poste dans un service de ressources humaines d’une grande entreprise de chantier naval. Un plan de restructuration est décidé par la direction. Le service doit alors préparer des critères de licenciements pour établir une liste de personnes qui vont perdre leur emploi.

L’histoire pourrait se dérouler dans n’importe quelle autre grande entreprise ailleurs qu’en Corée, le film décrit des processus en cours liés au capitalisme à l’encontre des travailleurs. Faire un sale boulot et garder une bonne conscience ?

The Snow Leopard de Pema Tseden (Chine/Tibet) : 

Quatre amis avec une caméra sont dans une voiture et rejoints par un jeune moine : direction un élevage où un léopard des neiges a attaqué et tué neuf béliers. Les animaux morts représente un gros préjudice en valeur de manque à gagner, mais le dangereux léopard des neiges a été coincé dans un enclos.

Le berger menace de le tuer s’il n’y a pas d’arrangement pour qu’il soit indemnisé de ses bêtes tuées, sauf que le léopard des neige est une espèce protégée : « Si je le libère qui va m’indemniser ? Qui va compenser ma perte ? » Il y a des vives discussions entre tous. Arrivent alors des agents du gouvernements et de la police…

All Ears de Liu Jiayin (Chine) :

Un ancien étudiant en scénario n’a pas le futur qu’il espérait et s’est recasé en écrivain d’éloge funèbre; il est en contact avec des proches de la famille des défunts pour en connaître plus sur leur vie et ainsi écrire un éloge qui résume la vie des disparus.

Il essaie de faire bien cette activité, mais, en même temps, il fait face à un blocage pour écrire quelques chose de plus personnel, tout en souffrant à la fois de l’échec de son désir d’écrire une oeuvre artistique et aussi de la solitude dans une grande ville… La fille d’une défunt dont il écrit l’éloge pourrait se révéler être un déclic.

Solids by the Seashore de Patiparn Boontarig (Thailande) : 

Des renforts de pierre et de sables sont installés sur le rivage face à la montée des vagues de la mer, et c’est dans cette région que une jeune femme blonde arrive pour le projet artistique d’une exposition. Le pays est à majorité bouddhiste et ouvert sur les autres, mais dans cette région il y a une communauté musulmane à laquelle appartient la famille de la jeune femme brune qui va l’aider pour son projet.

Alors que cette dernière à un mariage arrangé avec un prétendant musulman par ses parents, elle est séduite par les libertés de sa nouvelle amie. Entre les deux femmes commence une certaine attirance, et si la blonde peut suivre cet élan de désir, c’est moins le cas pour l’autre à cause de ses traditions… Les renforts sur le rivages seront comme une métaphore de certaines barrières qui empêche d’être pleinement soi-même.

Le Palmarès du 30e Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul :


CYCLO D’OR D’HONNEUR : à Zero Chou, réalisatrice (Taïwan) et à Tu Du-chih, ingénieur du son (Taïwan).

Le jury international présidé par le réalisateur Mohsen Makhmalbaf (Iran), avec la réalisatrice Zero Chou (Taïwan), l’acteur Shogen (Japon) et l’actrice Fatemah Motamed-Arya (Iran) a rendu son palmarès avec une petite surprise en fait bienvenue : il arrive souvent que soit cité une mention spéciale (ou plusieurs) pour un film en particulier ayant été mis en avant durant les délibérations, mais cette fois cela a concerné les qualités d’interprétation d’acteurs.

CYCLO D’OR : THE SNOW LEOPARD de Pema Tseden (Chine-Tibet) ; pour « La relation mystérieuse entre le moine et le léopard des neiges qui révèle la vision traditionnelle du monde du peuple tibétain, un royaume d’émotions spirituelles qu’il est difficile d’exprimer. Le réalisateur capture habilement ce monde enchanteur avec une grande précision, ce qui en fait une réalisation remarquable et profondément émouvante. Le film interprète les conflits du monde humain à travers un prisme spirituel ; cette œuvre est une perle rare ! »
GRAND PRIX DU JURY : SCREAM de Kenzhebek Shaikakov (Kazakhstan) ; pour « Un style de réalisme magique qui est vraiment captivant. L’approche du réalisateur pour condamner les essais nucléaires trouve facilement un écho auprès du public. »
PRIX DU JURY : SOLIDS BY THE SEASHORE de Patiparn Boontarig (Thaïlande) ; pour « Un film poétique et visuel pour découvrir le monde intérieur de deux femmes qui se découvrent elles-mêmes et le monde extérieur. Une découverte à laquelle le réalisateur invite le public. »
Mention spéciale :  Orynbek Shaimaganbetov et Arnur Akram, acteurs de SCREAM de Kenzhebek Shaikakov (Kazakhstan) 
Mention spéciale : Tseten Tashi, acteur de THE SNOW LEOPARD de Pema Tseten (Chine-Tibet)

PRIX DU JURY NETPAC : SCREAM de Kenzhebek Shaikakov (Kazakhstan) ; pour « le film qui révèle une tragédie inconnue dans l’histoire et ses effets sur les gens et leurs destins, avec un mélange magistral d’humour et de poésie, dans une histoire de relation père-fils inhabituelle et émouvante. »

PRIX DU JURY MARC HAAZ ex-aequo : SCREAM de Kenzhebek Shaikakov (Kazakhstan) ; pour « Scream est un petit mais grand film. Petit, par son esthétique minimaliste, et grand, par la puissance de son sujet. A travers la campagne kazakhe et le portrait d’une famille, Scream offre une vision émouvante des problèmes de notre temps. »
PRIX DU JURY MARC HAAZ ex-aequo : THE SPARK de Rajesh Jala (Inde) ; pour « un visuel fort et une métaphore du feu et de la colère, parce que la colère et la haine détruisent la société, parce que nous brûlons comme le feu, notre vie n’est que temporaire. »

PRIX DU JURY DE LA CRITIQUE : SUNDAY de Shokir Kholikov (Ouzbékistan) ; pour « Le jury de la critique a choisi de récompenser un film dont la composition graphique et l’art du détail l’a particulièrement touché. Les trois membres du jury ont été bouleversées par la capacité du réalisateur à rendre poétique la représentation de la vie quotidienne d’un couple rural et austère confronté bien malgré lui à la modernisation de la société. »
Mention spéciale : THE SPARK de Rajesh Jala (Inde) ; pour « Le jury de la critique remet une mention spéciale à un film dont la photographie et la philosophie l’ont ébloui. Chacun des plans est léché pareil à une peinture de grand maître. Le réalisateur aborde avec brio un sujet ancré dans l’actualité de la société indienne. »

PRIX DU JURY INALCO : THE SNOW LEOPARD de Pema Tseden (Chine-Tibet) ; pour « Son regard sur la beauté des montagnes tibétaines et l’importance symbolique des êtres qui l’habitent, pour son approche des relations diplomatiques entre humains et non-humains, pour sa présentation des difficultés juridiques à traiter les questions environnementales. »
PRIX COUP DE CŒUR INALCO : SOLIDS BY THE SEASHORE de Patiparn Boontarig (Thailande) ; pour « montrer en miroir les barrières que les hommes construisent pour contrôler l’environnement et celles qu’ils établissent dans le monde social. L’image, le son et la narration servent ce parallèle qui allie le fond à la forme dans un accord harmonieux. »

PRIX DU PUBLIC DU FILM DE FICTION : SUNDAY de Shokir Kholikov (Ouzbékistan)

PRIX DU JURY LYCÉEN : PARADISE de Prasanna Vithanage (Sri Lanka)

PRIX DU PUBLIC DU FILM DOCUMENTAIRE : AGE OF LEARNING de Shuvangi Khadka (Népal)
PRIX DU JURY JEUNE DU FILM DOCUMENTAIRE : CAN I HUG YOU de Elahe Esmaili (Iran)

Les films primés au FICA de Vesoul vont avoir plusieurs projections à Paris au Musée Guimet (du 8 au 10 mars 2024) ainsi qu’à l’auditorium de l’Inalco (courant 2024).