Dune 2 : sables mouvants pour une saga controlfreak

Dune 2 : sables mouvants pour une saga controlfreak

Dune, deuxième partie. De fait, le nouveau mastodonte de Denis Villeneuve est bien un nouveau chapitre dans ce qui s’annonce une trilogie. Impossible de comprendre ce nouvel opus si vous n’avez pas vu le premier film, sorti en 2020. Le cinéaste ne s’embarasse d’aucun récapitulatif. Il reprend là où il avait fini le précédent épisode, sans avoir à expliquer qui est qui, l’enjeu de leurs conflits, ni même le passif de chacun.

En cela, il suit la voie tracée par d’autres sagas populaires comme Star Wars (qui au final s’est étendue sur neuf longs métrages en plus de multiples spin-offs sous différents formats) ou Lord of the Rings. On imagine bien que le studio Warner Bros voudrait en faire sa nouvelle pépite, ou sa nouvelle épice, en déclinant l’univers inventé par Frank Herbert il y a plus de soixante ans. D’autant que l’écrivain a lui-même prolongé les aventures de ses héros tout au long d’un cycle de six romans, et que son fils a exploité le filon à travers une vingtaine de publications.

En attendant Le Messie de Dune, qui complètera le destin de Paul « Muad’Dib » « Usul » Atréides, promis à devenir un mix entre Néo de Matrix, Mahomet et Laurence d’Arabie, Villeneuve s’attache à transposer le second volume du premier livre, en prenant une fois de plus de sacrées libertés avec le matériau littéraire.

Infidèle

Il faut dire que l’ambition est démesurée. Le cinéaste doit parvenir à faire coexister un blockbuster, malgré une action minimale, un film d’aventures aux mystères inombrables, des relations humaines vernaculaires, et une intrigue digne des tragédies grecques. Un opéra SF hybride en quelques sortes.

Pour rendre son scénario limpide et compréhensible, plus hollywoodien aussi, le Québécois fait un choix assez radical dans son adaptation : la sœur de Paul ne naît pas, laissant le champ libre à « l’élu » pour devenir l’unique héros du récit. Il s’agit d’une histoire initiatique, où les compétences s’acquièrent aussi par l’empirisme, même si Paul a quelques dons (discrets) qui le rendent singulier. Il tranche aussi dans l’épilogue, préférant arrêter l’aventure sur une décision cruelle et cruciale, annonçant une suite, plutôt que sur les conséquences d’une victoire, qui aurait pu sceller la franchise.

Ces infidélités au roman démontrent surtout le talent de Denis Villeneuve à s’emparer d’un monument de la science-fiction pour en faire sa propre œuvre. Il sabre dans la complexité pour en faire un scénario plus limpide, s’autorisant ici ou là quelques audaces pas si classiques. Il se focalise sur quelques intrigues, valorisant son thème de prédilection, le pouvoir, qu’il soit politique ou religieux. Dune 2 s’avère multicellulaire, explosant en plusieurs histoires (Paul et Chani, Paul et les Fremen, Jessica et ses influences calculatrices, la Princesse Irulan et son empereur de père, les noirs desseins des Harkonnens et leurs luttes intestines, Paul contre les Harkonnens et contre l’Empereur, les manipulations des Bene Gesserit etc…). De facto, Denis Villeneuve s’en sort aisément, et ne nous perd jamais dans ce dédale.

Fatalité

On peut lui reprocher quelques sacrifices (le personnage de Margot Fenring, qui s’avère inutile, la guerre contre l’Empereur, expédiée), quelques coupures brutales dans le récit (on passe ainsi, sans transition de la promesse d’une nuit périlleuse dans le désert, finalement très romantique, à une bataille épique contre les Harkonnens, de loin la séquence d’action la plus monumentale), quelques manques d’explication ou d’enrichissements sur Paul (ses dons mais aussi son choix pragmatique à la fin qui sruvient comme un cheveu sur la soupe) et sur la capaité de sa sœur, à l’état fœtal, à dialoguer avec les vivants.

Mais on peut, également, admirer quelques prouesses dans la manière de captiver le spectateur de bout en bout, notamment avec ce duel de cape et d’épée en forme d’acmé pour triompher du mal ou encore ces multiples jeux de tahisons, de mensonges et de calculs dans chacun des camps.

Si l’ensemble peut paraître un peu plus bancal que dans le premier film, il n’en demeure pas moins que tout cela tient dans une forme de cohérence. Dune 2 peut remercier la mise en scène perfestionniste du réalisateur, qui ose quelques références cinématographiques (Laurence d’Arabie, Apocalypse Now, Robocop, mais aussi l’art orientaliste). Il maîtrise parfaitement sa machinerie, laissant le temps aux dialogues et aux exploits (le fameux ver des sables, impressionnant), s’attachant à bien mettre en place les espaces (en plans larges) et les personnages (en plans rapprochés), tout en utilisant ses propres tics visuels (protagoniste en ombre chinoise) et sonores (langages divers). Reste cette faille, décidément gênante : on ne saisit pas bien la temporalité des événements, pourtant chronologiques.

Étoilé

Pour le reste, la mécanique est impeccable et implacable. Avec son casting transgenérationnel et transcinématographiques, réuni pour plaire au plus grand nombre, des cinéphiles aux fans, Dune 2 est une confédération de talents : Timothée Chalamet et Zendaya sont rejoints par Austin Butler, Florence Plug, Souheila Yacoub et, discrètement Anya Taylor-Joy, côté jeune génération ; Léa Seydoux ajoute une french touch à la classe européenne (Javier Bardem, Rebecca Ferguson, Stellan Skarsgard, Charlotte Rampling), Christopher Walken s’invite en vétéran américain aux côtés de Josh Brolin et Dave Bautista. Qu’ils soient bons ou méchants, ambigus ou passionnés, chacun trouve sa place dans le groupe.

L’autre point fort est évidemment la direction artistique de ce péplum moderne. Villeneuve continue de magnifier son image, se détachant largement des films SF traditionnels, Star Wars inclus. La qualité de la photo, jusqu’à ce glissement subreptice vers un noir et blanc lumineux, participe à l’émerveillement. Bien plus qu’une séquence de combats déshumanisés.

Les décors, naturels pour les paysages, contribuent aussi à cette fascination. Le désert jordanien offre un paysage splendide à ces guerres meurtrières et ces introspections tourmentées. Pour ce qui est des « intérieurs », il choisit un minimalisme côté vilains et une influence entre troglodytes et culture mauresque côté Fremen. Superbe, évidemment. Le tout est réhaussé par de somptueux costumes, qui pourraient presque faire penser aux collections d’Yves Saint Laurent inspirées des femmes berbères ou à un défilé de Balenciaga.

On reprochera juste l’imposante présence de la musique d’Hans Zimmer, notamment dans ses envolées orchestrales assourdissantes, qui contrastent avec le minmalisme précieux de ses mélodies plus calmes.

Engagé

Cependant, Denis Villeneuve parvient à concilier tous ces éléments pour nous embarquer dans son grand spectacle, certes inachevé. A l’exploitation écologique et au colonialisme qui soutenaient la trame du premier film, il pointe sa caméra sur deux autres grands piliers de la civilisation. Tout d’abord, la religion et son obscurantisme, qui peuvent aveugler les peuples les plus misérables, mais qui peut aussi être vus comme une espérance. La méfiance de Chani à l’égard des prophètes et autres apôtres opère un virage sur le point de vue du spectateur. Progressivement, Paul apparaît dans toute son ambivalence comme un valeureux guerrier ou un vengeur usurpateur, selon ses croyances.

Ensuite, la politique. Tout est affaire de pouvoir. Il y a ceux qui agissent dans l’ombre (sans choisir leur camp parfois ou en jouant tous les coups à fois, telle la Révérance mère Gaius Helen Mohiam), ceux qui complotent en se croyant plus malins et sans que ça se sache, ceux usent de la violence et de la terreur, d’autres de la faiblesses des peuples, etc. Le rapport de forces, inégal souvent, est au centre de toutes les intrigues. Il conduit souvent à des compromissions, voire à une forme de corruption. Mais dans tous les cas il s’agit de domination.

C’est ainsi que Dune 2 nous laisse en suspens. Dans cette épopée éminement romantique, et romanesque, la traditionnelle histoire d’amour est rejetée au profit d’une alliance plus pragmatique, où la puissance et l’impérialisme ont le dernier mot. Ce qui laisse la fin ouverte à un nouvel enjeu : un duel au féminin entre une princesse, mariage de raison, et une résistante, liaison de cœur.

Inachevé

Si Denis Villeneuve agit en maître de ces marionnetes, « controlfreak » de son univers « dunesque », saura-t-il garder le contrôle de ces ramifactions amoureuses? Le pouvoir est une chose. Les sentiments en sont une autre, bien moins malléables et plus fluctuants.

Ainsi, après la traversée du désert du premier film, cette suite s’aventure un peu plus dans des sables mouvants. L’issue incertaine, même si l’on sait qu’il y a une voie étroite vers un destin plus serein, commence avec une rupture non désirée au profit d’une association de nécessité. De quoi engendrer de nouveaux conflits, plus humains et moins prévisibles.

Sournois et chimérique, Dune 2 se mue tranquillement, et avec grandiloquence, vers un triptyque à la fois mystique et ténébreux.