Bushman de David Schickele : un témoignage incandescent venu des Etats-Unis des années 60

Bushman de David Schickele : un témoignage incandescent venu des Etats-Unis des années 60

Comme souvent, c’est à une étonnante (re)découverte que nous invite la société de distribution Malavida en sortant sur les écrans français ce film décapant tourné en Californie à la fin des années 60 et ayant connu une carrière pour le moins écourtée, en raison notamment de la frilosité (voire du racisme) des exploitants de l’époque. David Schickele, dont c’est la réalisation la plus connue, a trente ans lorsqu’il se lance dans ce geste cinématographique libre et singulier qui mêle fiction et documentaire, errance urbaine et réflexions politiques, humour irrévérencieux et observation sociale acérée.

Avant cela, le réalisateur a tourné au Nigéria le documentaire Give me a riddle (1966) sur le Peace Corps (dans lequel il s’est engagé pour éviter la conscription et l’enfer du Vietnam), une agence indépendante du gouvernement des États-Unis, créée par John F. Kennedy, et dont la mission officielle est de « favoriser la paix et l’amitié dans le monde, en particulier auprès des pays en développement, en participant à des projets en éducation, santé, environnement, développement et technologie ». C’est à cette occasion qu’il rencontre Paul Eyam Nzie Okpokam, qui deviendra le personnage principal de Bushman.

Lorsque ce dernier quitte le Nigéria pour fuir la guerre civile qui éclate en juillet 1967, il vient alors étudier à San Francisco et rejoint l’équipe du film. Il utilise notamment son propre vécu pour enrichir les bases du scénario écrit par Schickele – scénario qui restera à l’état d’ébauche. Le réalisateur décide en effet de tourner vite et « sans suffisamment d’argent« , comptant « travailler d’arrache-pied et avoir de la chance » pour s’en sortir.

Le résultat est une oeuvre incandescente, unique en son genre, qui commence comme les tribulations ironiques et décontractées de son personnage principal, un jeune Nigérian surnommé Gabriel, dans le San Francisco de 1968, où il est sans cesse renvoyé à ses origines africaines et aux clichés qui vont avec (le canibalisme, les pratiques magiques, les guerres tribales…), que ce soit par ses amis afro-américains ou par les Américains blancs qu’il rencontre. À ces séquences « sur le vif », qui portent un regard souvent très critique, mais aussi très ironique sur le mépris intériorisé – et le racisme latent – des différents protagonistes (jusqu’à cette incroyable scène durant laquelle Alma, la petite amie de Gabriel, tente de lui faire adopter le phrasé spécifique de la communauté afro-américaine, évidemment sans aucun succès) répondent des images documentaires, prises par Schekele lors de ses années de service au Nigéria, qui viennent apporter un contrepoint aux différentes expériences que fait le personnage.

À d’autres moments, c’est lui-même qui s’exprime directement face caméra ou en voix off, racontant sa vie au Nigéria et depuis son arrivée aux États-Unis. On sent chez lui (le véritable Paul Eyam Nzie Okpokam comme le personnage) un désir de partager son expérience, de communiquer à ses interlocuteurs – et, au-delà, au spectateur – les situations et les émotions qu’il traverse. mais également de rejeter toutes les tentatives qui sont faites de l’assigner à ses origines, comme on assigne quelqu’un à résidence sans lui permettre d’exister dans toute sa complexité.

On a alors le sentiment d’une connexion très forte nous reliant à lui par le biais de ces quasi monologues qui nous dévoilent une réalité jusque-là théorique, et donc inaccessible. C’est d’autant plus émouvant que certaines répliques semblent prémonitoires au fur et mesure qu’avance le récit, et que la réalité rattrape la fiction. Avec beaucoup de sang-froid et d’intelligence, David Schickele intègre ces événements réels directement au film, auxquels ils apportent inévitablement une puissance décuplée, achevant d’en faire une oeuvre unique, entre le témoignage brut et l’instantané en état de grâce.

Fiche technique 
Bushman de David Schickele (Etats-Unis, 1971)
Avec Paul Eyam Nzie Okpokam, Elaine Featherstone, Jack Nance...
Distribution : Malavida
En salles à partir du 24 avril