Bifff 2024 : rencontre avec Julien Maury et Alexandre Bustillo pour « Le mangeur d’âmes »

Bifff 2024 : rencontre avec Julien Maury et Alexandre Bustillo pour « Le mangeur d’âmes »

Bienvenue dans les Vosges avec ses montagnes et ses forêts, sa petite ville de Roquenoir et sa légende locale du mangeur d’âmes, là où des enfants ont disparu et où des gens sont retrouvés morts après s’être entretués… Un homme enquête sur le cas des gamins et une flic arrive pour une scène de crime. Soit deux affaires qui pourraient avoir un lien. Il va y avoir d’autres enfants qui vont disparaître et il y aura d’autres cadavres…

Le pitch : La commandante Élisabeth Guardiano est chargée d’aller enquêter sur un double meurtre d’une rare brutalité dans une petite commune des Vosges. Sur place, elle rencontre le capitaine de gendarmerie Franck de Rolan qui fait face à une série de disparitions d’enfants. Impuissants face à un village hostile, ils vont être contraints d’unir leurs forces pour découvrir la vérité, une vérité terrifiante empreinte de légendes occultes…

Le début de l’histoire avec deux enquêtes qui se rejoignent vite en une ténébreuse affaire est un point de départ similaire au blockbuster Les rivières pourpres de Mathieu Kassovitz qui avait su relancer au cinéma le polar glauque d’investigation, avec son très sombre jeu de pistes. C’est une référence avouée du duo de cinéastes Julien Maury et Alexandre Bustillo, qui ont voulu à leur tour se plonger dans la réalisation de ce genre de film avec Le mangeur d’âmes.

Le mangeur d’âmes a été présenté dans plusieurs festivals de cinéma, dont le Festival Fantastique de Gérardmer, très proche des lieux de tournages. Le fait de ne rien tourner dans un décor de studio a été à la fois une motivation et un défi. Il y a des morts sanglantes, des disparitions et une légende…

Lors du BIFFF, les deux réalisateurs sont venus faire la promo juste avant la sortie en salles le 24 avril :

Le mangeur d’âmes est votre 7e film que vous avez réalisé ensemble. Est-ce que selon les projets, il y a une répartition des tâches qui change entre vous ?

Julien Maury : La répartition n’a pas évolué car il n’y en a pas ; on fait vraiment tout à deux. En fait, il y a une répartition évidente dans le sens où on ne parle pas les deux en même temps quand on dirige les comédiens, en général on se parle avant sur ce qu’on peut améliorer ou changer, puis c’est l’un ou l’autre qui parle à la technique, au chef-op’ ou aux comédiens. Pour gagner du temps ça peut nous arriver de nous séparer pour rentrer des scènes qui sont trop chronophages dans le plan de travail. Dans ce cas, chacun dirige une demi-équipe à deux endroits. C’est arrivé justement pour Le mangeur d’âmes, mais ça enlève du plaisir à travailler ensemble.

Au fil des années, à titre personnel, je prend de plus en plus de plaisir à bosser avec Alexandre, car on a de plus en plus d’expériences en commun, on se connaît de mieux en mieux. On sait exactement ce qui va plaire à l’autre ou ce qui ne va pas le brancher, de film en film, c’est de plus en plus agréable. C’est notre septième long-métrage mais les conditions de travail sont toujours difficiles. On court toujours après le temps. C’est compensé par notre manière de préparer les journées et d’anticiper les problèmes et par notre amitié toujours plus forte.

L’affiche de Le mangeur d’âmes montre clairement un visuel de ‘cinéma de genre’ avec les noms de Paul Hamy, Virginie Ledoyen et Sandrine Bonnaire : c’est un peu une surprise de les voir ici, est-ce qu’il y a eu des hésitations de leur part à rejoindre le film ?

Alexandre Bustillo : On n’a jamais galéré à avoir des acteurs un peu connus dans nos films. On le leur propose très rarement des films de genre. A titre d’exemple Virginie Ledoyen, qui a une longue carrière, n’avait jamais fait de rôle de flic. Elle n’avait jamais tenu un flingue dans les mains. Alors ça l’amusait de jouer une policière et d’avoir un flingue.

En général les acteurs français sont très en demande de ce type de proposition. Il y a du maquillage, des cascades, des bagarres, des effets-spéciaux, du gore. Sandrine Bonnaire est plutôt marquée ‘cinéma intellectuel’ entre guillemets. On lui a envoyé le scénario en se disant qu’on avait aucune chance mais on tente quand-même. Il se trouve que c’est sa fille qui a insisté pour qu’elle le lise car elle est fan de films d’horreur et qu’elle connaissait nos films. Sandrine Bonnaire a lu le scénario et a voulu nous rencontrer car elle n’était pas trop sûre d’elle. On lui a dit : « Mais tu en as fait un film d’horreur, et peut-être un des plus grands, c’est Sans toit ni loi de Agnès Varda. Le sujet est abominable avec une jeune fille qui meurt de froid dans un champs car elle est SDF. C’est ça la véritable horreur et pas un loup-garou ou des vampires. » Là on lui proposait un rôle pas évident : c’est du pain-béni pour un acteur, il recherche quelque chose qu’il n’a pas l’habitude de faire.

On n’a jamais eu de réticences pour nos autres films. Des fois tu attends trois mois une réponse de mecs pas connus, tandis que des grosses stars te disent oui en quelque jours. Ici ça s’est fait même très vite. Virginie Ledoyen, on lui a proposé le scénario un vendredi et le lundi elle disait oui, pareil pour Sandrine Bonnaire elle nous a donné sa réponse en quatre jours.

Dans vos autres films, les personnages se retrouvent face à un danger de mort, et c’est que qui procure la peur. Dans Le mangeur d’âmesn c’est différent. La mort qui est déjà arrivée et on suit une enquête pour comprendre ce qui s’est passé. C’est un autre type d’histoire qui vous a intéressé ?

Alexandre Bustillo : Oui exactement, et c’est pour ça qu’on a accepté ce film qui, de base, n’est pas un scénario de nous. C’est une adaptation du roman de Alexis Laipsker et quand on est arrivé sur le projet il y avait déjà un premier scénario écrit, qu’on a retravaillé. C’est ce qui nous plaisait de sortir de nos sentiers battus, d’essayer disons un sous-genre qui est le thriller d’enquête. Nous en tant que spectateur on est friand de ce type de films. Quand on a lu le scénario, on s’y est retrouvé avec des thématiques qui nous parlaient. Cette sorte de jeu du chat et de la souris, ça nous plaisait vraiment. Les fans de films d’horreur, même si ils sont assez nombreux, ça reste un public de niche. Ici ça nous permettait de s’ouvrir à un film peut-être plus grand-public, même si il y a des choses assez noires dedans. Le mangeur d’âmes reste un film ludique dans le sens tu cherches à trouver la résolution de l’énigme. Nous on s’y retrouvait côté réalisation. On espère que le spectateur s’y retrouvera aussi en cherchant pourquoi on a retrouvé ces gens dans cet état là et qui a fait ça.

Quand on parle de vous, forcément on revient à votre film A l’intérieur. Rétrospectivement ça vous fait quoi que votre tout premier film ait connu un tel succès, au point même d’être adapté pour un remake Inside ?

Julien Maury : C’est toujours hyper-flatteur, c’est un film qui a beaucoup marqué les esprits. C’est hyper-gratifiant d’avoir fait un film qui reste chez les fans un peu comme une pierre angulaire du film d’horreur français. Ce film A l’intérieur vit encore aujourd’hui. Vientôt il va y avoir une nouvelle édition du film en blu-ray en France (sortie le 24 avril, avec des nouveaux bonus) et en Angleterre aussi. On est régulièrement invité pour des projections aux quatre coins du monde. Là on a reçu un message d’une prof de français au Venezuela qui a passé le film dans un ciné-club et que ses élèves avaient adoré. C’est génial que le film continue encore sa vie plus de quinze ans après. C’est gratifiant de se dire que le film fait partie un peu d’une culture cinématographique mondiale. On est toujours ravi d’en parler et qu’il y ait eu un remake. Même si le remake n’a pas énormément d’intérêt, ça montre quand-même un désir de s’approprier cette histoire. C’est une vraie fierté.

Le ‘cinéma de genre’ français, c’est toujours difficile d’en produire et d’en diffuser,. Quels regards vous avez sur les autres cinéastes qui sont arrivés après vous ? Par exemple l’année dernière Mathieu Turi qui a fait Gueules noires, ou Vermines de Sébastien Vaniček, qui a eu deux nominations aux César, Coralie Fargeat qui vient d’apprendre que The substance avait été sélectionné en compétition du prochain Festival de Cannes ?

Alexandre Bustillo : Ils peuvent nous dire merci car on a bien balisé le chemin ! En fait c’est cool de voir cette nouvelle génération. On en connaît quelques uns de ces jeunes réalisateurs. On est très potes avec les réalisateurs de notre génération comme avec Alexandre Aja, Xavier Gens, Pascal Laugier, ou Fabrice Du Welz. Nous sommes assez bienveillants avec cette nouvelle génération. Il faut du sang neuf. Il y a eu une sorte de ‘nouvelle nouvelle vague’. Julia Ducournau, c’est un peu la papesse de cette nouvelle vague.

Nous sommes contents de voir de nombreux nouveaux films de genre. On a toujours dit qu’il fallait une vraie production de films de genre et de films d’horreur en France pour fidéliser le public, pour que le public n’ait plus d’a priori négatif pour aller voir tel film car c’est français et qu’on ne sait pas faire et que le film d’horreur c’est un genre que anglo-saxon, etc. Bref pour fidéliser le spectateur, il faut que ça soit une sorte de véritable industrie en France. C’est dans la quantité que naîtra la qualité.

Par exemple durant l’âge d’or du cinéma italien dans les années 70 avec les grands giallos de Dario Argento ou Mario Brava, quand il y a une production d’une centaine de films, forcément ça génère la chance d’avoir cinq chefs-d’oeuvre absolus unanimement reconnus. Quand il y a une production limitée à deux films d’horreur par an en France, il y a moins de chance que ça soit un chef-d’oeuvre qui fédère, même si chaque film est un prototype. Le fait qu’il y ait de plus en plus de jeunes cinéastes qui se tourne vers le ‘cinéma de genre’ est une super nouvelle en fait. Le cinéma français doit se régénérer.

Le succès de Vermines qui a fait un bon score au box-office, ça signifie que le public y a été juste parce que c’est un bon film d’horreur, sans à priori de blocage que sur la nationalité. Nous on avait eu la chance d’aller à Cannes en section parallèle avec A l’intérieur (à La Semaine de la Critique), des années après il y a Titane de Julia Ducournau qui gagne la Palme d’or à Cannes. C’est incroyable. Tant mieux, si cette nouvelle génération a une meilleure exposition.

À l’inverse, il y a aussi d’autres jeunes cinéastes qui eux n’assument pas du tout le côté ‘genre’ en étant un peu dédaigneux, mais qui s’en servent quand même comme prétexte pour raconter des histoires qu’on connaît par coeur, sorte de drame intimiste français. On ne dira pas de noms mais il y en a certains qui ont eu des moyens et qui ont sorti des films chiants comme la mort. Ceux qui ont un discours type ‘ce n’est pas qu’un film d’horreur, moi j’ai un message…‘ et en fait tu sens que, derrière, il n’y a pas d’amour du ‘cinéma de genre’. Aussi, il y a une nouvelle branche du cinéma français qui est à défendre : Sébastien Vaniček avec Vermines, Julia Ducournau, Coralie Fargeat avec Revenge et surtout son nouveau The substance qui va être deux heures incroyables de gore. Ce sont de vrais bons films aqui assument totalement leur ‘genre’.

Est-ce que votre prochain film est déjà prévu ou est-ce que réaliser une série ça vous tente ?

Julien Maury : On est ouvert à toute proposition. Mais de notre côté, on développe nos propres projets. On en a plusieurs qu’on mène de front. En fait, c’est ce qu’on fait ensemble depuis notre second film. On prépare plusieurs projets de films en parallèle et on voit lequel prend la main sur les autres en terme de financement par exemple. Là on est sur plusieurs projets de films en même temps, ça avance. La série c’est aussi quelque chose qui nous intéresse beaucoup. On a reçu des propositions, mais, pour des raisons de planning notamment, on n’a pas eu l’occasion d’en faire. On aimerait bien explorer la réalisation d’une série, parce que ça offre des possibilités différentes d’exploration des personnages.