Cannes 2024 : nouvelle(s) génération(s)

Cannes 2024 : nouvelle(s) génération(s)

Si le festival de Cannes est chaque année l’occasion de renouer avec les plus grands cinéastes de la planète, qui y ont parfois quasiment un fauteuil à leur nom, il se veut aussi, et parfois avant tout, le lieu des découvertes et des révélations. Ou plutôt, devrait-on écrire, des confirmations, tant la plupart des cinéastes présents pour la première fois, avec un premier ou deuxième long métrage, sont loin d’être des inconnus pour qui s’intéresse au milieu du court.

Premières fois

Ainsi Agathe Riedinger, propulsée directement en compétition officielle avec Diamant brut, s’était-elle fait remarquer en 2017 avec le très étonnant J’attends Jupiter, portrait complexe d’une jeune femme dont la perception d’elle-même et de l’existence basculait brutalement après avoir été retenue pour une émission de télé-réalité. Sujet qu’elle explore plus en profondeur avec son premier long métrage.

En sélection Un Certain Regard, on retrouve The village next to paradise de Mo Harawe, acclamé internationalement pour Will my parents come to see me (sélectionné à Berlin en 2022 et Grand prix à Clermont Ferrand en 2023), chronique oppressante de la dernière journée de Farah, un jeune homme condamné à mort, perçue à travers le regard de la policière chargée de l’accompagner.

Dans la même sélection, on retrouve le film Vingt Dieux de Louise Courvoisier, dont le film de fin d’études à la CinéFabrique de Lyon, Mano a Mano, avait remporté le prix de la Cinéfondation en 2019. Il racontait l’histoire simple de deux acrobates allant de ville en ville pour se produire, cherchant à raviver leur relation, et à réinventer leur avenir.

Côté Semaine de la Critique, on croise notamment Jonathan Millet, un ancien documentariste (Ceuta, douce prison) passé à la fiction avec des courts métrages comme La Veillée, Et toujours nous marcherons, Joana dans l’univers… Il fera l’ouverture de cette 63e édition avec Les Fantômes.

En séance spéciale, Alexis Langlois, fer de lance d’un cinéma queer déjanté (De la terreur, mes soeurs, Les démons de Dorothy) présente Les Reines du drame tandis que Saïd Hamich Benlarbi revient avec La mer au loin, après le succès de son court Le départ (sur le dernier été d’un enfant s’apprêtant à quitter le Maroc pour la France) et un premier long, Retour à Bollène.

La Semaine affirme ainsi sa vocation à révéler des talents, puiqu’elle ne présente que des premiers et deuxièmes longs métrages…

À la Quinzaine, citons enfin Chiang Wei Liang qui coréalise Mongrel, avec You Quiao Yin. Le réalisateur singapourien s’était fait connaître en 2016 en remportant le prix Audi du meilleur court métrage à Berlin pour Anchorage Prohibited, l’histoire touchante d’un couple de migrants installés à Taïwan avec leur enfant pour y trouver du travail.

Actrices réalisatrices

Il y a également le cas très spécifique des personnalités (souvent des comédiens et comédiennes) qui réalisent leur premier long métrage, comme par exemple cette année Ariane Labed (September says), Laetitia Dosch (Le procès du chien) et Céline Salette (Niki) – toutes les trois à Un Certain Regard.

De cette manière, une sélection cannoise (en longs métrages) est presque davantage une manière de donner un coup de projecteur à un film ou à des cinéastes, qu’une véritable machine à les découvrir, ce travail ayant été fait en amont par des programmes d’aides au développement, des résidence d’écriture, des forums de co-financement, des producteurs… ou tout simplement d’autres sélectionneurs.

Deuxième chance

Certains auteurs et certaines autrices arrivent d’ailleurs parfois à Cannes déjà auréolé du succès – public ou critique – d’un premier long métrage. Ils en sont souvent au moment le plus difficile de leur carrière (il est connu que le deuxième long est toujours plus compliqué à produire que le premier) et vivent cette sélection cannoise comme une opporunité bienvenue de « confirmer l’essai ». Peut-être est-ce même la configuration qui s’accompagne du plus d’enjeux et de pression, entre attentes à satisfaire et peur de décevoir.

De manière tout à fait subjective, nous avons retenu six cinéastes qui sont dans ce cas et méritent une attention toute particulière à l’occasion de cette 77e édition.

Matthew Rankin et Une langue universelle (Quinzaine des CInéastes)

C’est toujours une excellente nouvelle de découvrir un nouveau film de Matthew Rankin, qu’il soit court ou long. On se souvient encore de l’expérience électrisante de Tesla : Lumière mondiale sélectionné à la Semaine de la Critique en 2017, un quasi biopic du scientifique traité avec une audace folle, entre hommage au cinéma d’avant garde et expérimentation pyrotechnique, dans la droite ligne de son court métrage Mynarski chute mortelle (2014) qui racontait les derniers instants de la vie du héros de guerre Andrew Mynarski.

Son premier long métrage The Twentieth Century (2019), présenté à Berlin, faisait un portrait très fictionnalisé de l’ancien premier ministre canadien William Lyon Mackenzie King, et poursuivait une cinématographie en apparence déconcertante, voire complètement délirante, où tout est pourtant parfaitement maîtrisé et visuellement passionnant. On suppose que son nouveau film, développé dans le cadre de l’atelier Next Step de la Semaine de la Critique, est une nouvelle incursion dans l’histoire canadienne, nourrie à la fois des codes du muet, de l’animation et du cinéma expérimental.

Gints Zilbalodis et Flow (Un Certain regard)

Ailleurs, son premier long métrage, avait été un véritable choc. Présenté à Annecy en section Contrechamp en 2019, il avait remporté le Grand prix, et fait découvrir au monde un cinéaste letton de 25 ans qui, après avoir réalisé quelques courts métrages, s’était lancé seul dans le défi du long. Le film était une quête sensorielle et hypnotique accompagnant un personnage littéralement tombé du ciel dans un territoire inconnu et poursuivi par une créature fantomatique semblant se nourrir de la vie des autres êtres vivants. D’une lenteur extrême et d’une persévérance admirable, comme s’il était sûr d’atteindre son but, ce monstre étrange (et allégorique) poursuit inlassablement le héros, sans haine et même sans aucune émotion, faisant osciller le film entre le survival sensoriel et le récit d’exploration minimaliste.

Avec Flow, il renoue avec une partie de son cinéma spectaculaire, existentiel et contemplatif, en mettant en scène un chat contraint de cohabiter dans une barque avec d’autres animaux pour survivre à une brutale montée des eaux…

Caroline Poggi, Jonathan Vinel et Eat the night (Quinzaine des Cinéastes)

Le duo le plus atypique (et le plus hype) du cinéma français est de retour après Jessica Forever (2018) et Best secret place (une oeuvre de commande de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, à la frontière entre le court et le long, présentée en 2023 à Locarno et inédit dans les salles françaises). À leur actif, une demi-douzaine de courts métrages incandescents, dont l’incroyable Tant qu’il nous reste des fusils à pompe, Ours d’or à Berlin en 2014, et la chronique adolescente stylisée au romantisme fou, After school knife fight, vu à la Semaine en 2017.  

De film en film, Caroline Poggi et Jonathan Vinel captent à la fois l’exaltation radicale de la jeunesse, la nostalgie anticipée de ce qui n’est pas encore passé, et une observation sociale intimement liée à son époque. Eat the night n’y fait pas exception, et suit un frère et une soeur confrontés à la fin du jeu vidéo immersif qui les unissait, et à la perspective d’une nouvelle période de leur vie.

Cristóbal León, Joaquín Cociña et Los Hiperboreos (Quinzaine des cinéastes)

Un autre duo, chilien celui-là, avait secoué le festival d’Annecy en 2018 avec La casa lobo : un film singulier réalisé avec des marionnettes, racontant l’étrange séjour d’une jeune fille nommée Maria dans une maison qui ne cesse de se transformer, comme répondant à ses attentes. Tout à tour contemplatif et inquiétant, poétique et anxiogène, ce premier long métrage frappait notamment par son esthétisme qui joue sur la transformation et la déconstruction, ne cessant de se réinventer formellement.

Depuis, le duo a signé la séquence d’animation de Beau is afraid de Ari Aster, avant de se lancer dans ce nouveau projet hybride qui mêle « marionnettes, prise de vues continues, théâtre, science-fiction et vrai-faux biopic ». Il nous conduit sur les traces d’un homme bien réel : le dandy néonazi chilien Miguel Serrano (1917-2009), à l’origine de délirantes théories ésotériques.