Cannes 2024 | Avec The Substance, Coralie Fargeat fait saigner le culte de la jeunesse

Cannes 2024 | Avec The Substance, Coralie Fargeat fait saigner le culte de la jeunesse

AVEZ-VOUS DÉJÀ RÊVÉ D’UNE MEILLEURE VERSION DE VOUS-MÊME ? Vous devriez essayer ce nouveau produit: The Substance. ÇA A CHANGÉ MA VIE. Avec The Substance, vous pouvez générer une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite… Il suffit de partager le temps. Une semaine pour l’une, une semaine pour l’autre. Un équilibre parfait de sept jours. Facile n’est-ce pas ? Si vous respectez les instructions, qu’est ce qui pourrait mal tourner ?

Festival de Cannes 2021. Titane est en compétition et une couverture de magazine annonçait :« Julia Ducournau vient tout brûler ». Une Palme d’or plus que symbolique : la deuxième réalisatrice à recevoir ce prix (après Jane Campion en 1993), un film de genre (fantastique tendance un peu gore) couronné dans le plus grand festival de la cinéphilie, et un discours de remerciement : « Merci au Jury de laisser entrer les monstres » (en 2006 Le labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro n’avait eu aucun prix). En 2021 Titane était un film très attendu parce que Ducournau avait déjà réalisé Grave. Cette année , The Substance est un film très attendu, parce que Coralie Fargeat a réalisé Revenge.

À la fin de la séance, après un long final paroxystique, Coralie Fargeat a fait saigner les rétines. Mais avant cela?

Walk of Fame

En guise d’introduction, un plan séquence montre sur un trottoir du walk of fame de Los Angeles le moulage d’une étoile célébrant la popularité d’une actrice, Elisabeth Sparkle : le moulage est frais, puis l’étoile est prise en photo, plus tard les gens marchent dessus (comme sur les autres), puis on découvre cette étoile fissurée et salie… Cette courte scène indique ce qu’il en est du destin d’une star à Hollywood : elle brille et on l’oublie. Depuis Sunset Boulevard, on sait que ça peut même très mal finir. C’est le destin habituel de la plupart des célébrités, et encore plus celui des actrices après 50 ans.

Elisabeth Sparkle, malgré sa cinquantaine, montre toujours son corps élancé et moulé dans un body de gym, pour l’enregistrement d’une émission de fitness pour la télévision. Clap de fin puisque son producteur recherche une nouvelle fille plus jeune et plus sexy pour relancer l’émission.

Perturbée, un accident de voiture sans gravité la conduit à l’hôpital : après son corps dynamique en action à la télé, on pose un autre regard sur ce corps, qui devient plutôt apathique. Le corps de cette femme est le sujet du film, et en particulier l’évolution physique de ce corps. Un Body Horror Show. Son âge et son corps font qu’elle n’est plus désirée pour apparaître à la télévision. Donc, en plus brutal : elle n’est plus désirable…

‘The Substance’ est un produit qui promet de retrouver un corps plus jeune et par conséquent de nouveau désirable. La promesse est tentante…

Coralie Fargeat sait ménager ses effets, autant visuels que sonores. Mais aussi les effets de cette Substance, sanglants, choquants et horribles.

Avec virtuosité, le corps de cette femme devient pour elle, comme pour les spectateurs, un objet de fascination et une obsession. La caméra filme de manière très rapprochée les courbes du visage (et donc ses rides) et les courbes des fesses (et donc leur manque de tonus). Toutes les étapes de l’activation de la Substance produisent à l’image une longue séquence où le corps commence une métamorphose abominable et ahurissante. On est alors sidéré par ce qu’on voit à l’écran. L

Elisabeth est totalement méconnaissable, change d’identité et va passer le casting pouranimer l’émission de fitness à la télévision de laquelle elle avait été renvoyée…

Body Double

Le nouveau corps de cette femme devient pour elle comme pour les spectateurs à la fois un objet de fantasme et une hallucination. La caméra filme de manière très rapprochée aussi bien les courbes du visage (et donc ses lèvres pulpeuses) que les courbes du cul (rebondi). Mais Le processus de la Substance n’est effectif que pendant sept jours.

Ainsi une semaine Sue devient une nouvelle star dont le succès fait monter sa popularité, et la semaine suivante Elisabeth retrouve son ancien corps. La Substance permet à cette actrice de retrouver la gloire qui est sa raison de vivre. Si avec son corps habituel, Elisabeth est seule chez elle, la semaine où elle a l’apparence du corps jeune et sexy, elle est de nouveau en position de séduire n’importe quel homme…

Elisabeth ne trouve plus aucun désir pour son corps âgé. Tandis que son nouveau corps lui offre une vie palpitante. La spirale infernale, façon La mort vous va si bien de Robert Zemeckis, est lancée.

On va alors découvrir les dangers de cette Substance, et surtout les voir. Coralie Fargeat n’a pas de pudeur : c’est répulsif et atroce. Cette alternance entre un corps et un autre corps va aller de plus en plus loin vers l’horreur…

Elle réalise un film qui prend à bras le corps cette obsession du culte de la jeunesse, tout en interrogeant notre propre regard sur ce rejet du vieillissement.

Demi déesse

The Substance est d’autant plus captivant que son héroïne est incarnée par Demi Moore qui a été à la fin des années 80 une jeune comédienne séduisante (St. Elmo’s Fire de Joel Schumacher, About Last Night… d’Edward Zwick) pour devenir une star sex-symbol des années 90 (Ghost de Jerry Zucker, Proposition indécente d’Adrian Lyne, Harcèlement de Barry Levinson, Striptease d’Andrew Bergman).

Cette ‘régénération’ de Demi Moore est aussitout aussi électrisant. Il correspond au sujet même du film.

Aussi la caméra oppose le corps âgé de Demi Moore à celui de la jeune Margaret Qualley. The Substance nous confronte de manière intime à nos propres résistances personnelles face à la difficile acceptation de la dégradation de notre corps. On partage forcément un peu ce désir de conserver notre jeunesse. Mais jusqu’où peut on aller en signant de son sang et de sa chair un pacte avec le diable ?

A partir d’un postulat fantastique tel que l’altérité du corps humain, Coralie Fargeat extrapole à sa manière la métamorphose, pour nous emmener vers du ‘body-horror’ clivant, singulier et sidérant, tout en jouant avec une histoire de vanité très rassembleuse. En jouant avec cette corde sensible, elle s’autorise toutes les audaces. Et évidemment, pas mal d’excès et quelques longueurs.

Cependant The Substance, effrayant et fascinant, parvient à atteindre l’inimaginable le plus monstrueux. On vous aura prévenus.

The Substance
Cannes 2024. En Compétition
2h20.
Avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid
Réalisation : Coralie Fargeat
Scénario : Coralie Fargeat
Distribution : Metropolitan Films