Saoirse Ronan : l’art du dépassement

Saoirse Ronan : l’art du dépassement

Elle un prénom celte presque imprononçable. Saoirse (on le prononce en fait Sir-cha). Il est aussi original que son physique peut l’être, loin des stéréotypes glamour, mais pas dénué de séduction. Cette jeune irlandaise est tout juste entrée dans sa trentaine et elle a déjà une carrière solide de près de vingt ans, avec, en bonus, quatre nominations aux Oscars. Alors que les jeunes filles de son âge enchaînent les teen movies, les bit movies et autres films formatés par Hollywood, Saoirse choisit avec intelligence et prudence ses projets. C’est ce qui la rend si singulière.

Le grand public la découvre en 2007 dans le beau Reviens-moi de Joe Wright (réalisateur qu’elle retrouvera trois plus tard pour le très bon thriller Hanna), aux côtés de James McAvoy et Keira Knightley, déjà vedettes reconnues. Dans ce mélo, elle est une adorable peste, sœur jalouse et envieuse, qui va culpabiliser après avoir commis un mensonge atroce.

Jusque là Saoirse Ronan avait joué face à Michelle Pfeiffer dans un film oublié (Trop jeune pour elle !), un film de Noël tout aussi vite effacé des mémoires (Jonathan Toomey : le miracle de Noël) et en fille de voyante dans un film directement sorti en vidéo (Au-delà de l’illusion). Ça ne s’annonçait pas forcément bien pour elle…

ADN irlandais

Irlando-new yorkaise, qualifiée aujourd’hui d’actrice prodige, elle a commencé au cinéma grâce à son père, qui baignait dans le milieu. Elle fait ses débuts à l’âge de dix ans dans un soap irlandais, The Clinic, et enchaîne avec une série locale, Proof. C’est une jeune fille de sa génération. Pro mariage pour tous, résidant plutôt à Manhattan qu’à Hollywood, deux passeports en poche. Elle est née dans le Bronx, a grandit en Irlande. Mais surtout, elle a très vite gagné son émancipation. Souvent été auditionnée pour de grandes sagas hollywoodienne, elle n’a jamais été prise. Trop originale.

Mais ses choix ont finalement été plus judicieux. Mis à part le mystérieux City of Ember (La Cité de l’ombre) avec Bill Murray et Tim Robbins, film SF qui a laissé tout le monde de marbre, elle fait peu d’erreurs de carrière. Peter Jackson l’enrôle pour Lovely Bones, pas forcément son film le plus réussi, mais assurément un personnage qui permet de comprendre l’étendue de jeu de la comédienne. Jeune fille assassinée dans ce conte fantastique, elle rappelle une autre jeune comédienne révélée seize ans plus tôt par le cinéaste : Kate Winslet (Créatures célestes).

Saoirse Ronan aime s’aventurer là où on ne l’attend pas. Au milieu de prisonniers du goulag s’évadant à travers steppes et désert vers l’Inde, elle est le seul personnage féminin des Chemins de la liberté, drame épique de Peter Weir.

Choix éclectiques

A l’aise dans différents genres, Saoirse acquiert vite cette image d’actrice qui sourit peu mais sait illuminer un plan. C’est sans doute ça qui frappe dans la performance qu’elle livre dans Hanna, film d’action où elle manie les arts martiaux et affiche une froide détermination, entre Nikita et Jason Bourne. Ce film est sans doute charnière tant elle prouve, pas encore majeure, qu’elle est capable de porter un thriller de qualité sur ses épaules. Emballé, les producteurs, en manque d’imagination, ne lui proposent désormais que ce genre de films (tueuse à gage dans Violet & Daisy, vampire dans Bizantium) et des films pour ados comme Les Âmes Vagabondes (The Host), adaptation cinématographique de la mormone Stephenie Meyer, écrivaine de la saga vampirique bonbon acidulé Twilight.

Fan de l’Exorciste, elle a du se sentir en zone de confort avec l’extra-terrestre qui était en elle.
Étrangement, ses affinités avec le cinéma fantasy se déclinent dans des récits variés. Dans Maintenant c’est ma vie de Kevin MacDonald, elle incarne une jeune New-yorkaise superficielle et « boring » fraîchement débarquée dans la campagne anglaise et qui va devoir survivre en pleine Troisième guerre Mondiale. Elle ne s’épargne rien, aime les errances « survival » et les ennemis invisibles qui veulent sa peau.

À 20 ans, il était temps pour elle de changer de registre. D’une part, les grandes franchises du genre ont été squattées par Kristen Stewart, Jennifer Lawrence et autres Shailene Woodley. D’autre part, elle n’a pas le physique pour jouer les femmes fatales et sexys façon Emma Stone.

Agrémentée d’une tâche de vin sur la joue, elle devient docile, timide et romantique chez Wes Anderson dans l’un de ses chefs d’œuvre, The Grand Budapest Hotel. Elle passe ainsi du fantasy à la fantaisie. Ce n’est pas elle qui fait rire, elle sourit toujours aussi peu, mais elle montre qu’elle peut se fondre dans d’autres univers, légèrement décalés. Elle retrouvera le cinéaste pour The French Dispatch, en showgirl. Pas étonnant alors qu’elle soit choisie par Ryan Gosling pour être sa voisine étrange, un brin morbide, un zest nostalgique et sérieusement barrée, affublée d’un rat et prête à changer de monde dans Lost River, premier long métrage de la star.

C’est bien son étrangeté qui fascine. Sa facilité à passer d’une atmosphère violente à un récit mélancolique, à être mademoiselle tout le monde comme une super-héroïne, à se métamorphoser au gré de l’histoire et à rester elle-même au fil des ans. Avec Brooklyn, elle rappelle d’où elle vient (l’Irlande), où elle est (New York) et ce qu’elle vaut (une comédienne plus que douée, qu’elle soit romantiquement amoureuse de deux garçons à la fois ou féministe qui s’ignore dans un monde patriarcal). Elle récolte avec ce film indé sa première nomination à l’Oscar de la meilleure actrice.

L’envol

À chacun de ses films, elle tape dans l’œil des critiques, à défaut, souvent, de recevoir un accueil public à sa hauteur. En témoignent ces films où elle excelle (La Passion Van Gogh, The Seagull, Marie Stuart, Reine d’Ecosse, aux côtés de Margot Robbie) mais qui la relient trop souvent à un cinéma aussi classique qu’académique.

Grâce à sa rencontre avec Greta Gerwig, en 2017, sa filmographie va prendre une autre tonalité. Tout d’abord avec Lady Bird (et une autre nomination aux Oscars), qui lui offre un personnage contemporain, générationnel et complexe. En adolescente rebelle et rêveuse, elle porte tout le film sur les épaules avec une assurance et une intelligence qui confirment son talent. Deux ans plus tard, la réalisatrice l’enrôle de nouveau pour incarner Jo dans une version alerte et classieuse des Filles du docteur March au milieu d’un casting all-stars (et une nouvelle nomination aux Oscars en bonus). En aspirante écrivaine et jeune femme émancipée, elle brille avec évidence.

Au rythme d’un film par an, elle creuse son sillon, avec une certaine intégrité. Sur la plage de Chesil et Ammonite (avec Kate Winslet) explorent davantage les désirs, la sensualité et les troubles émotionnels d’une jeune femme confrontée à une société corsetée.

Elle s’essaie aussi à la comédie dans le whodunnit Coup de théâtre, trop léger sans doute pour être remarqué, et dans le drame SF Le remplaçant (avec Paul Mescal), trop peu tendu pour captiver, malgré toute la jolie sensibilité apporté par l’actrice. Avec The Outrun, elle trouve un personnage davantage à sa hauteur, et déploie toutes les nuances nécessaires pour incarner une femme alcoolique. Elle impose une profondeur et une délicatesse dans un film à la narration convenue. Sa performance en vient à l’écraser. Sans doute l’effet de sa double casquette d’actrice et de productrice, nouveau métier indispensable pour maîtriser la suite des événements. Après tout Saoirse signifie liberté en gaélique.

L’actrice mûrit et peu se prévaloir d’une belle filmographie. Suffisamment reconnue, cette discrète continue de choisir ses rôles sans compromissions. Son attirance pour le fantasy l’amène à retrouver Greta Gerwig pour le reboot des Chroniques de Narnia à venir sur Netflix. Ce qui ne l’empêche pas d’interpréter le rôle d’une prof « borderline » dans Bad Apples ou d’être la tête d’affiche du film historique de Steve McQueen, Blitz. Une mère courage sous les bombes…

Saoirse l’affirme. Jouer n’est pas un travail mais une passion. Elle assume l’aspect divertissement. Essaie le théâtre, s’amuse dans des clips vidéos. Mais si elle a conquis si rapidement de 7e art, c’est sans aucun doute parce que son visage très expressif et son perfectionnisme si palpable nous l’ont rendue indispensable. Ouverte aux expériences nouvelles, prête à passer derrière la caméra, la comédienne cherche une authenticité dans ses rôles. Mais à certaines conditions : elle refuse la toxicité, l’agressivité et l’autoritarisme sur les tournages. Cependant, c’est parce qu’elle a ce tropisme pour des héroïnes déchirées et contraintes dans des mondes obscurs qu’elle capte si bien la lumière. Elle a ce don inné : le sens de la caméra. Et le goût des belles histoires.