
La sélection officielle n’a jamais été aussi littéraire. Et pas seulement en terme d’adaptations puisqu’on se retrouve avec six biopics autour d’écrivains, adaptés de leurs propres œuvres autobiographiques : La petite dernière, Fuori, Marcel et Monsieur Pagnol, Love me tender, The Chronology of Water, Amélie et la métaphysique des tubes. Et c’est sans compter un autre film d’animation très lié au monde de l’édition: Arco de l’auteur de bande dessinée Ugo Bienvenu (le film sera par ailleurs transposé sous forme de roman graphique chez Denoël cet automne).
Selon les chiffres les plus récents du Centre national du Livre, 20% des films français sont des adaptations littéraires, dont les deux tiers sont issus des catalogues du XXIe siècle. Il n’y a aucune raison que le phénomène décroisse puisque 33% des entrées en salles en France sont générées par des adaptations de livres et 22% du top Unifrance des exports de films français sont des adaptations. Sans compter qu’une sortie en salle produit un engouement en librairie pour le matériau d’origine. On l’a vu l’an dernier avec Le comte de Monte-Cristo, L’amour ouf et La plus précieuse des marchandises.
Aux Etats-Unis, littérature et audiovisuel fusionnent de plus en plus en amont de l’écriture. On ne compte plus les deals qui représenteraient environ un tiers de la production américaine. Les liaisons vont encore plus loin : les stars ouvrent des clubs de lecture et de recommandations littéraires, écrivent (roman, jeunesse, pratique), les écrivains deviennent pour certains des stars, on « deale » avant parution les droits d’adaptation, etc. On est à un stade industriel. Et au box office, rappelons que les Marvels, Dune et autres La planète des singes sont tous des histoires imprimées avant d’être filmées.
Cannes, qui accueille chaque année un marché spécifique dédié à l’adaptation avec Shoot the Book!, ne manquera pas de valoriser sa marque à travers 17 films de sa sélection officielle dont les origines se trouvent dans les centaines d’heures d’écriture d’autrices et d’auteurs du monde entier.
La petite dernière
La Petite Dernière, réalisé par Hafsia Herzi, est adapté du premier roman éponyme de Fatima Daas, publié en 2020 aux éditions Noir et blanc.
Fatima est la plus jeune d’une famille musulmane d’origine algérienne, installée en banlieue parisienne. Dans son entourage, on ne parle jamais d’amour, et l’homosexualité est un sujet tabou. En entrant en classe prépa, loin de son quartier, elle commence à prendre ses distances avec sa famille. Peu à peu, elle s’émancipe et affirme son attirance pour les femmes. Ce chemin vers elle-même l’amène à jongler entre ses envies, sa foi, et ce que sa famille attend d’elle.
Drame intimiste. Compétition (Sélection officielle).

The History of Sound
The History of Sound, d’Oliver Hermanus, est la transposition d’une des nouvelles Ben Shattuck, traduite en français sous le titre La Forme et la couleur des sons (Albin Michel, 2025).
Paul Mescal et Josh O’Connor incarnent deux jeunes hommes qui, à l’été 1919, sillonnent la Nouvelle-Angleterre pour recueillir les chants folkloriques de leurs contemporains. Dans le livre, leur histoire est le début de plusieurs autres récits.
Drame historique et intimiste. Compétition (Sélection officielle).

La disparition de Josef Mengele
Un an après Limonov, adapté du roman d’Emmanuel Carrère, Kirill Serebrennikov s’inspire d’un autre roman biographique français. Prix Goncourt 2017, La Disparition de Josef Mengele d’Olivier Guez (paru chez Grasset) est aussi adapté au théâtre par Mikaël Chirinian (actuellement à La Pépinière à Paris).
Le cinéaste russe en exil filme la fuite du criminel nazi en Amérique du Sud et la construction de son impunité, tout en étant le récit d’une traque sans relâche. Le roman est exaltant, le film le sera-t-il autant?
Drame historique. Cannes Première (Sélection officielle).

Deux procureurs
Deux Procureurs du cinéaste ukrainien Sergueï Loznitsa, est une adaptation du récit soviétique éponyme Dva prokourora de Gueorgui Demidov. L’écrivain a longtemps été censuré et son œuvre n’a été redécouverte que tardivement (et partiellement). Il raconte ici les dérives du système judiciaire stalinien (et en écho poutinien), en 1937. En partie autobiographique, ce témoignage des camps concentrationnaires est traduit dans le recueil Doubar et autres récits du goulag (éditions des Syrtes, 2021).
Drame historique et politique. Compétition (Sélection officielle)

Fuori
Fuori raconte la vie de Goliarda Sapienza, à travers l’adaptation de son récit autobiographique L’Université de Rebibbia. Le film de Mario Martone, avec Valeria Golino pour l’incarner, se concentre sur son incarcération.
Face au refus des éditeurs de publier son roman, son œuvre majeure, L’art de la joie, l’écrivaine commet un vol qui détruit sa réputation et l’envoie en prison. Elle développe avec les détenues une solidarité inattendue, au grand désarroi de son entourage intellectuel. Elle en tirera un livre, L’Université de Rebibbia, publié en France en 2019 aux éditions Le Tripode.
L’art de la joie a finalement été publié peu de temps après sa mort. Il ne deviendra un classique et un best-seller que dix ans plus tard grâce à ses traductions allemande et française.
Film biographique. Compétition (Sélection officielle).

Dalloway
Dalloway de Yann Gozlan, avec Cécile de France, n’a pas grand chose à voir avec le roman éponyme de Virginia Woolf. Il s’agit de l’adaptation du roman de Tatiana de Rosnay, Les Fleurs de l’Ombre (Robert Laffont, 2020).
Clarissa Katsef, une romancière, emménage dans une toute nouvelle résidence pour artistes. Son appartement moderne, perché au 8e étage, offre une vue imprenable sur Paris. Le cadre idéal pour écrire en paix… du moins en apparence. Très vite, elle ressent un malaise : quelqu’un l’observe, elle en est presque sûre. Mais est-ce réel ou le fruit de son imagination ? Et surtout, qui se cache derrière le nom mystérieux de CASA ? Clarissa devient-elle paranoïaque, ou a-t-elle raison de s’inquiéter ?
Thriller. Séance de minuit (Sélection officielle).

Highest 2 Lowest
Spike Lee is in da place avec Highest 2 Lowest. Il s’agit d’une nouvelle adaptation du roman Rançon sur un thème mineur d’Ed McBain (nom de plume de Salvatore Albert Lombino), déjà transposé au cinéma par Akira Kurosawa (Entre le ciel et l’enfer, 1963). Le livre est édité aux Presses de la cité.
Denzel Washington retrouve pour la cinquième fois le réalisateur pour cette histoire d’enlèvement d’un membre d’une famille aisée et ses conséquences.
Notons que l’écrivain, sous le nom d’Evan Hunter cette fois-ci, était scénariste à Hollywood. On lui doit notamment Les oiseaux d’Alfred Hitchcock et Liaisons secrètes de Richard Quine.
Thriller. Hors-compétition (Sélection officielle).

Connemara
Et un autre Goncourt dans la liste. Nicolas Mathieu, lauréat pour Leurs enfants après eux (adaptation sélectionnée à Venise l’an dernier), se retrouve à Cannes avec la transposition d’un autre de ses romans, au titre très Michel Sardou.
Alex Lutz présentera son adaptation de Connemara (Actes Sud, 2022), en réunissant Mélanie Thierry et Bastien Bouillon. Un burn-out brutal oblige une femme dans la quarantaine a quitté Paris et revenir où elle a grandi, entre Nancy et Epinal. Elle s’installe avec sa famille, retrouve un bon travail, une certaine qualité de vie. Un soir, elle aperçoit Christophe, le bel Hockeyeur des années lycées, objet de désir. Deux France, deux mondes qui espèrent pouvoir s’aimer.
Drame social et romantique. Cannes Première (Sélection officielle).

Dîtes lui que je l’aime
Romane Borhinger fait ses premiers pas derrière la caméra en s’appropriant le livre autobiographique de Clémentine Autain paru en 2019 chez Grasset. Un croisement entre le récit personnel de l’élue politique – sa mère, la comédienne Dominique Laffin, morte quand elle avait douze ans – et de la vie de l’actrice – sa propre mère l’a abandonnée quand elle avait neuf mois.
Comédie dramatique autobiographique. Séance spéciale (Sélection officielle).

Marcel et Monsieur Pagnol
Sylvain Chomet (Les triplettes de Belleville) aime la nostalgie. Après Jacques Tati dans L’illusionniste, il nous plonge dans l’œuvre de Marcel Pagnol, écrivain et cinéaste provençal légendaire.
Ici, il imagine Pagnol, à l’apogée de sa gloire, qui reçoit la commande d’une rédactrice en chef d’un grand magazine féminin pour l’écriture d’un feuilleton littéraire, dans lequel il pourra raconter son enfance, sa Provence, ses premières amours… En rédigeant les premiers feuillets, l’enfant qu’il a été autrefois, le petit Marcel, lui apparaît soudain. Ainsi, ses souvenirs ressurgissent au fil des mots : l’arrivée du cinéma parlant, le premier grand studio de cinéma, son attachement aux acteurs, l’expérience de l’écriture. Le plus grand conteur de tous les temps devient alors le héros de sa propre histoire.
Animation tous publics. Séances spéciales (Sélection officielle).

L’inconnu de la Grande arche
Stéphane Demoustier s’est inspiré du livre de Laurence Cossé, La Grande Arche (Gallimard, 2016). Soit l’épopée de la construction d’un des grands travaux de François Mitterrand (Michel Fau), et aujourd’hui l’un des monuments les plus connus de Paris. C’est à la fois décryptage des coulisses du pouvoir et portrait de son créateur, Johan Otto von Spreckelsen (Claes Bang), architecte danois très secret et professeur aux Beaux-Arts de Copenhague. Quelques mois après The Brutalist, l’architecture s’invite de nouveau sur grand écran.
Drame biographique et architectural. Un certain regard (Sélection officielle).

A Pale view of Hills
Lumière pâle sur les collines est le premier roman de Kazuo Ishiguro (Presses de la Renaissance, 1984), qui, depuis, est devenu Nobel de littérature. Déjà adapté deux fois au cinéma (Les vestiges du jour, Never let me go), l’écrivain britannique est aussi scénariste, et notamment de Vivre, d’après le film d’Akira Kurosawa, réalisé par Oliver Hermanus, en compétition cette année avec The History of Sound.
Ishiguro est ici adapté par Kei Ishikawa (A Man, 8 oscars japonais). Dans son livre, l’auteur raconte l’histoire d’Etsuko, une Japonaise d’âge mûr, qui vit à la campagne en Angleterre. Elle est veuve pour la deuxième fois et reçoit la visite de sa fille cadette, Niki, née de son mariage avec un Anglais. Mais un drame pèse sur elles : le suicide de Keiko, la fille qu’Etsuko a eue avec son premier mari japonais, Jiro. Keiko n’a jamais réussi à s’adapter à la vie en Angleterre. Etsuko repense alors à sa jeunesse à Nagasaki, peu après la bombe atomique, dans un Japon marqué par le traumatisme et la nostalgie, comme chez son beau-père Ogata-San.
Drame historique. Un certain regard (Sélection officielle).

Die, my love
Die, My Love est le nouveau film très attendu de Lynne Ramsay, avec Jennifer Lawrence et Robert Pattinson. La réalisatrice de We need to talk about Kevin transpose le livre de la romancière argentine Ariana Harwicz (en français : Crève, mon amour, Le Seuil, 2020).
Dans une campagne isolée, une jeune femme lutte contre l’ennui, l’angoisse et un profond sentiment d’aliénation. Tiraillée entre désir, violence et pression sociale, elle voit sa vie domestique se fissurer. Considérée comme folle ou étrangère, elle est en réalité une femme en quête de liberté, piégée entre les rôles imposés d’épouse, de mère, et de figure transgressive rejetée par la société.
Thriller et comédie noire. Compétition (Sélection officielle).

Love me tender
Il était temps qu’un livre de Constance Debré soit porté sur le grand écran. C’est chose faite avec Love Me tender (Flammarion, 2020) par Anna Cazenace Cambet.
Cette autofiction explore les thèmes de la maternité, de l’identité sexuelle et de la liberté individuelle. Après avoir quitté son mari et abandonné sa carrière d’avocate, Constance (Vicky Krieps) affirme son homosexualité et adopte un mode de vie minimaliste, centré sur l’écriture, la natation et des relations amoureuses éphémères. Cette quête de liberté a un coût élevé : elle perd la garde de son fils, Paul, à la suite d’une bataille judiciaire où son ex-mari utilise son orientation sexuelle et ses lectures pour la discréditer.
Drame intimiste et féministe. Un certain regard (Sélection officielle).

The Chronology of Water
Premier long métrage de Kristen Stewart, The Chronology of Water est adapté de l’autobiographie de l’écrivaine Lidia Yuknavitch, traduite en français sous le titre La mécanique des fluides (Denoël, 2014).
Ici, Lidia (Imogen Poots), jeune nageuse prometteuse, fuit un foyer toxique en acceptant une bourse universitaire au Texas. Rapidement exclue pour usage de drogue et d’alcool, elle se tourne vers l’écriture en rejoignant un projet mené par Ken Kesey. C’est le récit de sa reconstruction, non pas comme une descente aux enfers, mais comme une renaissance grâce au pouvoir libérateur des mots, une ôde à la résilience et à la rédemption par l’écriture.
Drame romantique et biographique. Un certain regard (Sélection officielle).

13 jours, 13 nuits
Ajout de dernière minute hors-compétition, le thriller politique de Martin Bourboulon avec Roshdy Zem, Lyna Khoudri et Sidse Babett Knudsen, raconte l’évacuation de Kaboul de 15 août 2021, alors que les troupes américaines s’apprêtent à quitter le territoire et que les Talibans prennent d’assaut la capitale.
C’est l’histoire vraie du Commandant Mohammed Bida, qu’il raconte dans un récit publié aux éditions Denoël. Au milieu du chaos, le militaire et ses hommes assurent la sécurité de l’ambassade de France, encore ouverte. Pris au piège, il décide de négocier avec les Talibans pour organiser un convoi de la dernière chance avec l’aide d’Eva, une jeune humanitaire franco-afghane. Commence alors une course contre la montre pour conduire les évacués jusqu’à l’aéroport et fuir l’enfer de Kaboul avant qu’il ne soit trop tard.
Drame politique et guerrier. Hors-compétition (sélection officielle)

Amélie et la métaphysique des tubes
Finissons avec de l’animation. Et sans aucun doute l’un des projets les plus excitants dans le domaine. Amélie c’est Amélie Nothomb, romancière belge au succès phénoménal depuis 33 ans. Ses best-sellers ont été souvent adaptés au théâtre, et notamment l’un de ses plus grands livres, Métaphysique des tubes en 2007 par Claire Rieussec. Au cinéma, il y a eu quelques tentatives. Hygiène de l’assassin en 1999 (le livre est mieux), Stupeur et tremblements en 2003 (César pour l’excellente Sylvie Testud), Tokyo fiancée en 2014 (très décevant), et A Perfect enemy en 2022 (passé sous les radars).
Autant dire que la pression est grande pour les réalisatrices Maïlys Vallade et Liane-Cho Han. Mais l’animation est peut-être le seul moyen de rendre fidèle visuellement cette histoire de tube (un bébé). Certaines personnes semblent échapper aux lois de l’évolution, comme les « légumes » : des êtres inertes mais pas sans esprit. Dans Métaphysique des tubes, la narratrice, bébé silencieux et immobile pendant ses deux premières années, vit dans cet état presque divin. Elle se croit Dieu, observant le monde avant de décider d’y entrer vraiment. À travers des réflexions drôles et philosophiques, elle raconte ses premières années au Japon, où, selon la tradition, les enfants sont considérés comme des dieux jusqu’à l’âge de trois ans.
Animation tous publics. Séances spéciales (Sélection officielle).
