Risky business cet été pour les salles de cinéma

Risky business cet été pour les salles de cinéma

Il semble loin le temps où la comédie française était assurée d’attirer un large public dans les salles. Et tout aussi loin les étés où Marvel et Pixar créaient l’événement en dominant le box office avec leurs créatures.

Deux ans après la grève des scénaristes et celle des acteurs à Hollywood, cinq ans après les confinements liés à la pandémie de Covid, le cinéma voit son verre à moitié vide, à moitié plein.

Des entrées en forte baisse en France et aux USA

Le premier semestre 2025 nous montre que les salles ne sont pas aussi remplies qu’espéré. Selon le CNC, la fréquentation des salles françaises a chuté au premier semestre. -12,2% par rapport à l’an dernier, soit 10 millions de billets vendus en moins. L’équivalent du box office d’Un p’tit truc en plus. Mars, mai et juin ont été catastrophiques (-23,2% en juin selon l’institution). La part de marché des films français, toujours dominants, accuse une baisse de plus de six points. Et si la fête du cinéma a donné un petit coup de boost (3 millions d’entrées en 4 jours, mais cela reste moins que l’an dernier), elle a favorisé essentiellement les blockbusters hollywoodiens (F1 en tête avec plus d’un million de spectateurs en une semaine, deux millions en trois semaines). Cependant, depuis le début de l’année, le cinéma américain ne représente qu’un ticket vendu sur trois. Est-ce la cause de cette chute ou cela révèle-t-il simplement que l’exigence des spectateurs ne trouve pas satisfaction?

Aux USA, le deuxième trimestre a rattrapé le coup de mou du premier trimestre. Les recettes cumulées depuis six mois ont grimpé de 16% par rapport à l’an dernier grâce à cinq films (et malgré une quinzaine de bides). Cela montre aussi que l’industrie américaine – désormais dominé par deux studios, Disney et Warner, qui représentent la moitié des recettes – dépend de plus en plus de mastodontes au destin incertain, et ne parvient plus, faute de diversité, à se protéger avec des films moins coûteux et, souvent, plus qualitatifs. Si on dézoome un peu, le nombre de tickets vendus est en baisse (le prix du billet permettant de compenser cette perte). On reste d’ailleurs très loin des années pré-covid (2024 et 2025 n’affichent que 60% des entrées de 2018 et 2019, 50% des années 2000). Jamais il n’y a eu aussi peu d’Américains dans les salles.

Trop de flops

Aussi l’enjeu de la saison estivale est grand du côté des producteurs, français comme américains d’ailleurs. Car les fiascos financiers se sont multipliés depuis quelques mois. On peut toujours constater les succès de Lilo & Stitch (qui va franchir le cap des 5 millions de spectateurs en France et le milliard de dollars de recettes dans le monde) ou de Minecraft. Ce sont deux arbres qui cachent le désert. Et dans tous les cas, aucun blockbuster américain ne tutoie le carton populaire chinois Ne Zha 2, qui affiche 2 milliards de dollars de recettes. Tout un symbole.

Même avec de beaux scores, le dernier Mission : Impossible et le nouveau Captain America voient leur rentabilité loin d’être assurée. Thunderbolts*, Blanche-Neige, Mickey 17, The Amateur ou Ballerina ont fait perdre de l’argent aux studios, quand, dotés de budgets plus modestes, Sinners et Destination Finale Bloodlines ont été les rares machines à cash du premier semestre. Faible bilan.

La faute à plusieurs paramètres. L’inflation des budgets (y compris marketing), la faiblesse des scénarios, la concurrence des plateformes et des autres loisirs plus immersifs ou émotionnels. On pensait qu’avec Barbie, Oppenheimer ou Top Gun Maverick, Hollywood avait saisit qu’il fallait bien plus que des effets spéciaux et des superhéros pour attirer le public. D’autant que les studios ont pu miser l’an dernier sur des franchises familiales lucratives (Vice-versa, Vaiana, Moi, moche et méchant), des marques pop culture respectées et transformées en grands opéras oscarisables (Wicked, Dune), des comics décalés (Les gardiens de la galaxie, Deadpool), ou un mix des trois (Super Mario Bros). Bref, de la grosse prod qui remplit les salles premium (Imax, 4DX, etc) avec des récits formatés pour ne déplaire à personne. Et si Vice-Versa ou Dune sont sans doute d’un meilleur niveau, n’oublions pas que ce sont les indépendants et peu coûteux Flow et Anora qui sont repartis avec des Oscars…

En attendant Avatar

Autant dire qu’en ce début d’été, les studios croisent les doigts. Sans succès phénomène depuis des mois, l’accueil glacé d’Elio (Pixar) démontre que rien n’est plus sûr, pas même la réputation d’une marque.

Si les scénarios originaux ne sont plus si emballa,ts, il reste le savoir faire pour séduire un large public. La tendance est donc de parier sur un bon vieux blockbuster à l’ancienne (F1, premier hit pour un film produit par Apple), une franchise qui n’a jamais vraiment déçu ses producteurs (Jurassic World, dont le démarrage est parmi les plus importants pour ces années post-Covid), le superhéros le plus populaire du pays (Superman, qui réussit plutôt bien son envol), un Marvel ressucité (Les 4 Fantastiques), quelques films de genres toujours très rentables, et les reboots ou sequels de films cultes (The Naked Gun, Freakier Friday).

Et si tout cela ne remplit pas les caisses comme espéré, tout le monde attendra les suites de Wicked et d’Avatar en fin d’année pour sauver les meubles. Au moins, on peut croire que James Cameron sait encore, lui, raconter de belles histoires fédératrices et sensationnelles.

Le cinéma américain est loin d’être mort, mais il est en panne. Le public français ne s’y trompe pas : aucun film, hormis Lilo & Stitch et sans doute le 7e Jurassic, n’a dépassé les 3 millions de spectateurs. Ça n’était arrivé qu’en 2020, à cause du confinement. Les spectateurs espagnols, italiens, allemands ont eux aussi eu du mal à s’enthousiasmer pour les productions hollywoodiennes cette année. Trop prévisible, trop binaire, trop peu enrichissant : le scénario des blockbusters lasse.

Cependant, dans ces pays mais aussi en Corée du sud et au Japon, les productions locales résistent bien. En France, quelques films français ont tiré leur épingle du jeu comme la comédie dramatique Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan et la comédie policière Un ours dans le Jura. Du côté cinéma américain, des films plus auteurisants tels Un parfait inconnu ou Sinners ont franchi la barre du million d’entrées. Si Dragons est loin d’être tout feu tout flamme, les deux millions de spectateurs sont déjà dans sa ligne de mire. Soulignons aussi les jolis succès de L’attachement, Partir un jour, et le dernier Almodovar, La chambre d’à côté : tous ont séduit plus de 600 000 spectateurs. Il y a encore une envie de cinéma, pour peu qu’il propose un style, une histoire, de l’émotion.

Pertes et tracas

Mais cela ne compense pas le nombre de flops. Malgré ses presque 3 millions de spectateurs, God save the Tuche a fait à peine mieux que le précédent opus et reste très loin des scores des 2e et 3e film de la saga qui n’a plus vraiment la frite. Au point de ne pas vraiment amortir ses 20M€ lors de son exploitation.

Vu le contexte, on a d’ailleurs de sérieuses interrogations sur la rentabilité de grosses productions à venir (Dracula, Chien 51, Marsupilami, L’homme qui rétrécit), qui alignent des budgets compris entre 20 et 45 millions d’euros. Ainsi, 13 jours, 13 nuits tout comme Le grand déplacement n’ont pas réussi à capitaliser sur la fête du cinéma et finiront dans le rouge foncé. Malgré son joli succès (800 000 spectateurs), La venue de l’avenir (15,5M$€) ne sera pas rentabilisé dans l’immédiat.

Pour les producteurs et distributeurs français, la facture du premier semestre est vraiment salée : Mercato (238 000 billets) et Natacha (presque) hôtesse de l’air (15,5M€ pour 101 000 voyageurs nostalgiques) ne sont pas les seuls à avoir essuyé un gros échec. Rapide (14M€ pour 172 000 tickets vendus) et Le routard (14M€ pour 217 000 touristes) ont crashé direct.

Tout le monde est touché depuis 2024 : des films du milieu comme L’empire, Le dernier souffle, La bête, La vallée des fous, Madame de Sévigné ou Les derniers hommes, des films de genres comme Largo Winch : le prix de l’argent ou Drône, ou les films d’animation, pas en meilleure forme depuis quelques temps.

La prise de risque n’a pas plus porté chance à des films budgétés au-dessus de 10 millions d’euros comme Leurs enfants après eux, Saint-Ex, Emmanuelle, Elyas, C’est le monde à l’envers, 4 zéros ou Le larbin. Aucun n’a attiré plus de 400 000 spectateurs.

Au moins l’an dernier, quelques gros succès compensaient ces échecs.

Mais surtout c’est la comédie qui floppe. Rien qu’en 2025 Le secret de Khéops, Délocalisés, Aimons-nous vivants, Le répondeur, 100 millions !, Avec ou sans enfants?, Vacances forcées, Anges & Cie, Sur la route de papa, De mauvaise foi ou Les règles de l’art n’ont attiré qu’entre 60 000 et 450 000 spectateurs es malgré des gros casts, une promo pépère TV-radio-magazine, et de l’affichage (souvent moche) dans les lieux publics. Le cinéma français ne fait plus rire les spectateurs, et ça ne fait pas rire les professionnels.

C’est une vraie tendance. L’an dernier, des comédies comme Presque légal, À l’ancienne, On fait quoi maintenant?, Les rois de la piste, Opération Portugal 2, Jamais sans mon psy, Karaoké, Le panache, On aurait dû aller en Grèce et Les boules de Noël ont été des échecs cuisants. Le problème est-il du côté de l’écriture, des sujets, de la surproduction, du manque de désir?

Les zones d’intérêt

Autrefois c’était un genre majeur au box office. En ce premier semestre 2025, à peine cinq comédies françaises se glissent dans le Top 30, et pas à des niveaux stratosphériques. Plus aucun acteur du genre n’est bankable, anciens comme nouveaux. La comédie dramatique et les films familiaux s’en sortent beaucoup mieux.

Tout n’est pas noir. Grâce à son écosystème particulier, le cinéma en France peut amortir les échecs. Les films cannois permettent encore une belle variété de genres dans les succès de l’année. Mais, tout le monde se l’accorde, il faut des locomotives. Or, Hollywood n’est pas parvenu à jouer ce rôle ces derniers mois, pas plus que la comédie française quand elle est trop « télévisuelle » dans son écriture. Il a manqué Un p’tit truc en plus, un Comte de Monte Cristo, une Emilia Perez et de L’amour ouf. Bref de l’ambition, un regard, et des belles histoires.

Aux USA, la crise est sans doute plus profonde. Seuls onze films ont dépassé les 100M$. Le film d’aventures, les films d’horreur et le film familial sont devenus dominants. La comédie a quasiment disparu (Materialist est le seul survivant à date). Le thriller est à la peine (sans doute concurrencé par des séries ou des films de plateformes). Les films d’auteur n’existent plus (seuls , The Brutalist et Je suis toujours là, tous deux gagnants aux Oscars, et The Phoenician Scheme sont dans le Top 60).

Le retour de l’expérience collective

Alors que faire? Tout comme Hollywood aurait du davantage suivre la piste plus audacieuse d’un Barbenheimer pour relancer la fréquentation des salles plutôt que de répliquer des formules usées jusqu’à la corde. Les producteurs français doivent investir davantage sur des sujets populaires singuliers et fédérateurs, comme l’an dernier le doublé comédie humaniste / spectacle patrimonial (Un p’tit truc en plusLe comte de Monte-Cristo). Les succès de L’amour ouf auprès des jeunes et de En fanfare (avec 80% de son public en province) confirment que le public est en attente d’autre chose à partager dans une salle qu’une succession de situations soi-disant cocasses sans contexte social ou dilemme humain.

C’est aussi la limite de la narration hollywoodienne (à ne pas confondre avec celle des cinéastes indépendants américains). On sait d’avance comment ça se termine (et la morale est toujours sauve). Les personnages ont de moins en moins de complexité. L’humour est souvent identique. Les effets visuels masquent difficilement la vacuité du récit. Tout ce qui est transgressif ou tabou a disparu, à commencer par le sexe. Et avec le développement des salles Imax ou 4DX, la sensation l’emporte sur l’émotion.

Alors oui, il y a danger. Si en France, le système favorise une forme de « biodiversité » de la création et de la diffusion (ce qui permet à des films comme A Normal Family, À bicyclette ou Black Dog de séduire sur la longueur), dans de nombreux pays, l’offre est beaucoup trop ciblée sur un public de 15-25 ans ou familial. Pas étonnant que les plateformes acquièrent des films de festivals puisque le marché devient de plus en plus difficile pour diffuser en salles des œuvres plus audacieuses.

Mais il y a surtout urgence à ce que toute la profession, des auteurs aux producteurs, en passant par les médias, ici ou ailleurs, défendent des projets et des films qui sont susceptibles de faire revenir le public dans les salles. En France, qui plus est, il y a le choix. Même si les médias se focalisent souvent sur la grosse sortie française et la grosse sortie américaine de la semaine. Même si les armes marketing ne sont pas toutes égales entre les nouveautés. Les exploitants ont besoin de Brad Pitt, Leonardo DiCaprio ou Tom Cruise, de dinosaures ou de messies en tous genres. Mais ils ont aussi besoin de remplir les salles annexes (le pop-corn est le même pour tous). Créateurs de contenus comme émissions de télévision gagneraient à évoquer d’autres films que les mastodontes lourdeaux hollywoodiens.

Un reboot nécessaire

Pour que la salle de cinéma retrouve ses couleurs d’avant covid, il y a besoin d’un reboot des productions grand public et, avec le surgissement des influenceurs, de la médiatisation des films d’auteur. Il y a de l’espoir tant qu’il y a de la cinéphilie. Et celle-ci ne disparaît pas, alors même que le métier de critique est menacé et précarisé. Les festivals de films patrimoniaux comme La Rochelle ou Lumière affichent complet. Le réseau social Letterboxd est devenu un outil prescripteur formidable. La diffusion de films d’auteur sur Arte ou France 5 séduit de plus en plus largement.

Ce n’est donc pas la demande qui est un problème. C’est l’offre – et sa promotion – qui n’y répondrait pas. Et ça vaut pour le public senior, qui, va devoir choisir, en fonction de son accès aux salles ou aux musées et de son pouvoir d’achat, entre rester chez soi ou sortir. Le cinéma reste un loisir très populaire. Mais, pour beaucoup, aller au cinéma (avec les coûts que cela engendre) reste un choix accessoire dans un agenda. D’autant que les sollicitations ne manquent pas.

Payer 250 euros pour un giga concert, ou moins pour un festival en plein air, aller au musée pour des expos qu’ils peuvent partager sur les réseaux sociaux, lire des livres qui font écho à leur vécu ou s’amuser à plusieurs avec des jeux vidéos, sacrifier son dimanche pour bingewatcher la série recommandée par des amis : le public est prêt à se cultiver ou se divertir s’il peut en tirer un bénéfice social. Peu importe que ce soit un drame, de l’art contemporain, un témoignage perso ou une chanteuse queer funky.

Aussi, peu importe la nationalité du film (Netflix cartonne bien avec des séries sud-coréennes ou espagnoles), peu importe où nous résidons sur cette planète (la création/production audivisuelle est quasiment partout, en Afrique comme en Amérique latine ou en Asie du sud-est), il est urgent de proposer et promouvoir des films qui donnent envie de rentrer dans une salle de cinéma et de vivre cette expérience émotionnelle ensemble. Sinon, à quoi bon dépenser 15 euros pour voir des dinosaures manger les méchants, des super-héros sauver la planète, des gags éculés sur la calvitie, ou un énième Dracula qui va mordre la nuque de jeunes femmes? Le déjà-vu est le pire teaser qui puisse exister.