A l’affiche de deux films – Madeleine Collins en salles le 22 décembre et En attendant Bojanchles au cinéma le 5 janvier – Virginie Efira réussit par sa seule présence à crever l’écran avec des personnages déjouant les conventions et défiant la morale, tout en restant attachante et même bouleversante. Dans ces deux tragédies, elle continue de flirter avec la folie et d’explorer l’amour impossible dans un monde empoisonné par se règles. Quitte à tout perdre pour se libérer de ses prisons…
Elle est omniprésente. Force est de constater que Virginie Efira ne nous laisse aucun repos. A 44 ans, la quatre fois nommée aux Césars, nous a embarqué dans un tourbillon de rôles en un an : Adieu les cons, César du meilleur film, Benedetta, en compétition à Cannes, Lui, un film de Guillaume Canet que personne n’a vu, Madeleine Collins, présenté à Venise où elle était membre du jury, et En attendant Bojangles, premières sortie majeure du cinéma français en 2022.
Sur les traces d’Isabelle Huppert, elle choisit des rôles de femmes puissantes et névrosées, vulnérables et contradictoires. Mais, à la différence d’Huppert, bientôt couronnée par un Cecil B. De Mille Award aux Golden Globes, Virginie Efira réussit à alterner cinéma populaire et cinéastes de festivals avec une facilité déconcertante. Surtout, elle rend tous ses personnages, même les moins aimables, éminemment sympathiques ou attachants.
A deux semaines d’écart sortent sur les écrans Madeleine Collins d’Antoine Barraud et En attendant Bojangles de Régis Roinsard. Elle installe dans les deux cas toute la quintessance de son jeu, du rire aux larmes, de la fragilité à la folie, de l’ambivalence à l’émancipation. Comme souvent, cela se termine mal d’un point de vue humain. Mais la libération, par l’exil ou la mort, paraît à chaque fois salutaire et la seule issue possible.
Dans Madeleine Collins, elle est Judith, qui a depuis des années une double vie entre la France et la Suisse. Elle vit avec Abdel avec qui elle élève une petite fille mais elle est aussi l’épouse d’un grand chef d’orchestre, Melvil, avec qui elle a eu deux garçons. Dans un premier temps, le spectateur constate qu’elle est heureuse dans cette bigamie. Mais progressivement, quelque chose déraille. Les révélations nous montrent que tout n’est pas si simple, ni si attendu.
Au fil du récit, et des vérités qui démentent nos préjugés, Virginie Efira dessine le portrait d’une femme complexe et dévorée par une existence impossible à mener. Elle est ainsi la seule à vivre dans le mensonge. Et en étant confrontée plusieurs fois à la réalité, elle opère une mue qui va conduire à la perte de cet équilibre intenable. Elle est tour à tour sublime et ordinaire, déformée par les pleurs et séduisante par sa bonne humeur, rongée par les dilemmes et obligée de se soumettre au temps, passé, présent et futur. Un grand numéro d’actrice qui rappelle ses belles performances dans Victoria de Justine Triet et Un amour impossible de Catherine Corsini.
D’autant que le film nous happe avec ce faux suspens conduit comme un thriller hitchockien, dont l’épilogue nous échappe et rend tous les actes de Judith imprévisibles. Si elle est capable d’avoir deux vies, elle est capable de tout. Et au-delà de ça, on ne saura jamais qui elle est: Judith, Margot, Madeleine?
Ou Camille, Antoinette, Olga, Jean-Paul, Béatrice, Henriette, ou Rita? Dans En attendant Bojangles, elle est toutes les femmes de la vie de Georges (Romain Duris). La muse, l’épouse, la mère, l’amante, la femme idéale. Virginie Efira a cette légèreté et cette fantaisie qui sied bien au personnage imaginé par le romancier Olivier Bourdeaut, dont le livre En attendant Bojangles a été un best-seller surprise et récompensé par le Grand prix RTL-Lire. On l’a bien compris: ici aussi elle a plusieurs personnalités, plusieurs vies, mais dans ce film, elles sont logées dans son esprit et ne font que combler l’ennui qu’elle considère comme mortel. Car dans cet itinéraire d’une jeune femme banale (un mari et un fils, au foyer et toujours bien habillée), ce sont les rêves qui sont le moteur de l’existence.
Entre L’Arnacœur (au début) et L’écume des jours (sur la fin), le film offre un tango séduisant, même s’il n’a jamais le charme du roman. Il faut attendre le chapitre final pour être cueilli avec délicatesse par une belle et sincère émotion. L’adaptation doit cependant beaucoup à Virginie Efira, dont il épouse les moindres sautes d’humeur. Tantôt douce, drôle, charnelle, dramatique, douloureuse et même souffrante. C’est presque paradoxal puisqu’il est écrit avec le point de vue des deux hommes de sa vie : l’époux et la progéniture. Or, elle est au centre de l’attention et des intentions. L’actrice offre un grand show où elle déploie tout son talent dans un scénario un peu plan-plan. Tour à tour comique, séductrice, aliénée, dangereuse, aimante, protectrice, dingue, belle, abimée, perdue, romantique… Et en cela, Virginie Efira nous envoûte continuellement, sans qu’on n’ait jamais à la juger.
Car le trait d’union entre ces deux films, et on pourrait y ajouter Benedetta et Adieu les cons, n’est pas seulement le choix de femmes qui sont persuadées d’être « bien », même lorsqu’elles blessent ou mentent. Ce n’est pas seulement le portrait de femmes libres, sexuellement affirmées, aptes à vivre plusieurs vies. Le risque et l’audace de Virginie Efira sont plutôt ailleurs : ses choix s’orientent vers des récits qui rejettent une forme de morale et les conventions sociétales. Ses personnages flirtent avec la transgression – et là on revient à Huppert ou même Deneuve -, faisant fi de la bienséance au nom du droit à vivre ses amours à sa façon. Quitte à tout perdre. Car c’est l’autre leçon des films récents de l’actrice : le sacrifice n’est jamais très loin. Dans Madeleine Collins, il est d’autant plus poignant qu’elle opte pour une fuite en avant, brisant ses chaînes. Après avoir tout eu, tout vécu, les femmes d’Efira sont prêtes à tout abandonner. C’est dans ces instants là que la comédienne nous fait vibrer, nous bouleverse parfois. Adieu les cons, vous ne méritez pas une femme pleine d’amour dans vos sociétés cadenassées. Virginie Efira apparaît alors comme une grande tragédienne, qui, du haut de son autel, plonge dans l’inconnu en pleine crise existentielle.
Qu’elle soit Alice, Victoria, Sybil, Benedetta, ou une flic, une épouse a priori modèle, veuve, comédienne, coach, elle bouscule les tabous et convainc à chaque fois que les amours les plus impossibles valent toutes conséquences qu’ils infligent.