Cannes 2022 | Restos do vento : Tiago Guedes nous ensorcelle

Cannes 2022 | Restos do vento : Tiago Guedes nous ensorcelle

Tout comme l’excellent et tendu As Bestas de Rodrigo Sorogoyen, Restos do Vento (réintitulé Traces en vf) de Tiago Guedes méritait sans doute sa place dans la compétition. Mais, par son sujet et son formalisme, le film portugais, comme le film espagnol de Sorogoyen, s’approchent trop du non moins formidable R.M.N. de Cristian Mungiu.

Car, coïncidence, trois des grands cinéastes latins contemporains ont choisi de filmer la ruralité, l’isolement, la peur de l’autre et de l’étranger, la violence sous-jascente de communautés larguées par l’époque. Et dans les trois cas, outre une tonalité grisâtre et terrienne, on retrouve une forme d’angoisse face à une menace absurde ou invisible.

Ici, nous sommes dans nord du Portugal, loin des zones touristiques. Les folklores ont encore leur importance. Un rite de passage, de tradition païenne, a conduit trois adolescents vers la sauvagerie : Laureano, parce qu’il a voulu s’interposer entre eux et une jeune fille, pour éviter l’irréparable, en subit des séquelles irréversibles. Un quart de siècle plus tard, il vit marginalisé, à l’écart du village, de la communauté, avec, pour seuls compagnons, des chiens. La jeune fille rescapée est la seule qui lui vient encore en aide. Pour les autres, il est un attardé. Ses agresseurs sont devenus adultes, losers ou arnaqueurs. Et la tragédie du passé va remonter à la surface lorsque l’on découvre un mort le soir d’une fête communale.

Rites toxiques

Tiago Guedes pointe ainsi sa caméra sur le masculinisme et sa toxicité. Ce bizutage où l’adolescent se voit titularisé « homme » n’est autre qu’une tradition barbare avec ses simulations de viol sur des femmes qui ont « le mal en elle » et ses pulsions agressives qui s’en prennent aux plus faibles ou aux plus raisonnables. La force et la solidarité entre hommes, ainsi que la bêtise et l’ennui, font le reste. Le prologue ne cache rien : il est d’une brutalité effarante.

Cette dureté se retrouve dans les caractères, le cadre même de ce village abandonné, de ces paysages sans attraits. Et parce que nous savons de quoi sont capables ces hommes, le film bascule rapidement d’une description réaliste à une atmosphère inquiétante, avant que ne surgisse le supplice d’une menace irrationnelle et tragique. L’orage qui plombe le ciel va rapidement se faire exploser toutes les retenues : les erreurs du passé, les fautes des pères, les folies de chacun vont tourbillonner jusqu’à déverser leur fiel maléfique sur les innocents, parfaits coupables aux yeux d’idiots aveuglés.

Injustices

Si le récit est parfois prévisible, son immoralité lui permet de s’élever vers une œuvre à la fois pessimiste et christique. Entendons-nous là : sa facette sacrificielle, sur fond de dilemme tragique et intime, transcende le film en un drame psychologique insoutenable et presque révoltant. Ses cadrages élégants ne masquent pas l’horreur qui va submerger cette bourgade. A l’instar d’As Bestas et de R.M.N, Restos do vento laisse des traces dans notre esprit pour des raisons équivalentes : l’impuissance à s’adapter, la connivence communautariste, la haine de la différence, le poids inconscient des traditions et des religions dans les opinions sont capables d’entraîner tout une confrérie vers l’impardonnable, préférant être hantés par ses morts plutôt que de payer ses fautes.

C’est cette violence larvée, accentuée par un découpage lent, des dialogues minimalistes, une réalisation séduisante et une ambiance oppressant, qui marque alors davantage que cette bestialité viriliste. La (mauvaise) conscience semble alors plus empoisonnée et fatale que n’importe quels coups, le silence et l’ignorance l’emportent hélas sur n’importe quelle vérité.

Martyr

Autant dire que le drame laisse des cicatrices. Envoûtant et aride, sidérant et injuste, le récit est mis en scène avec la distance nécessaire, et sans pathos superflu, pour que nous en ressortions sonnés et même abattus. On songe alors à cet homme dévitalisé, victime de préjugés, haïs par les barbares,traité comme un chien errant, tel un martyr pouilleux et touchant. On se prend à prier pour cette pauvre âme damnée de son vivant. Car, on l’aura compris, Tiago Guedes livre une œuvre noire, sans concessions, forcément et fortement remuante.