Après son très remarqué court métrage Un dimanche de mariage, Elias Belkeddar signe un premier long fantaisiste et tendre qui nous emmène en Algérie, en compagnie d’un attachant duo de gangsters contraints à une retraite anticipée. Lorsqu’on les découvre, Omar (Reda Kateb) et Roger (Benoit Magimel) marchent au milieu du désert du Sahel, vêtus de costumes voyants, et se racontent des anecdotes sanglantes sur leurs anciens collègues. Ils assistent ensuite à une bagarre volontairement démesurée durant laquelle leur précieuse cargaison de cocaïne passe de mains en mains dans un ballet virevoltant de morts et d’agressions. Flegmatiques, les deux personnages s’interrogent : « c’est qui ce vieux qui nous braque ? », avant d’aller récupérer la marchandise eux-mêmes, d’un pas nonchalant et avec style.
Tout est à l’avenant dans cette comédie savoureuse et éminemment sympathique qui joue avec les codes du genre et cherche sans cesse le contrepied de ce que le spectateur pourrait attendre. Les personnages, à mi-chemin entre de grands romantiques frappé par le spleen et d’imprévisibles gangsters au sang chaud, enchaînent les aphorismes et les blagues, distillent leurs conseils plus ou moins avisés de vieux briscards (sur la criminalité, notamment), ne reculent devant rien pour arriver à leurs fins, et tuent le temps comme ils peuvent.
Pousser les curseurs
On ne peut qu’admirer la capacité du réalisateur à pousser les curseurs de la comédie en multipliant les situations absurdes et les idées décalées. Ses personnages sont comme deux sales gosses qui s’ennuient et rivalisent d’imagination pour redonner un sens à leur vie. Omar tombe amoureux, tandis que Roger fait tout pour empêcher son ami de tomber dans la dépression. La manière dont ils se soutiennent et s’épaulent apporte une dimension inattendue de douceur et de mélancolie.
On peut avoir l’impression que le film reste parfois en surface, privilégiant les aspects fantaisistes et anecdotiques au détriment d’un portrait plus profond de l’Algérie contemporaine, vraiment brossée à grands traits rapides (les enfants des rues, les courses de chameaux, la criminalité, le cliché d’un certain exotisme…). Mais il est impossible de bouder son plaisir devant la gourmandise avec laquelle les comédiens principaux donnent vie à ces personnages si imparfaits et touchants, et au fond parfaitement inadaptés à la vie qu’ils essayent de mener.
C’est là que le rire se mue en une émotion plus amère, notamment dans la dernière partie du film qui, si elle donne l’impression de rentrer dans le rang d’un récit plus attendu, permet aussi d’incarner plus concrètement l’indéfectible amitié (jusque-là un peu plus théorique) qui unit les deux hommes, et dont elle prend tout de suite une ampleur supplémentaire lorsqu’on comprend qu’elle remonte à l’époque de leur jeunesse faite de plaies et de bosses.
Omar la fraise d'Elias Belkeddar (France, 1h40) Avec Reda Kateb, Benoit Magimel, Meriem Amiar... Sortie française : 24 mai 2023