CinéLatino : un salut à Cuba avec Ernesto Daranas Serrano et Agnès Jaoui

CinéLatino : un salut à Cuba avec Ernesto Daranas Serrano et Agnès Jaoui

La 36e édition du festival CinéLatino de Toulouse organise un focus intitulé Salut les Cubain.es ? Résister à l’effacement autour du cinéma contemporain de Cuba, avec, notamment, une valorisation de la nouvelle génération de cinéastes (dont certains sont exilés) et de nombreux courts-métrages comme ceux du cinéaste Nicolás Guillén Landrián et documentaires (dont L’affaire Padilla).

Membre du jury à CinéLatino et de manière générale ardent défenseur du cinéma de son pays, le réalisateur cubain Ernesto Daranas Serrano accompagne les multiples projections, dont celle de son film le plus connu Sergio & Sergei, inspiré de l’histoire du cosmonaute Sergueï Krikaliov dans la station spatiale Mir en 1991. Envoyé dans l’espace en tant que soviétique de l’URSS, il a dû rester plus longtemps que prévu dans l’espace parce qu’entre temps le pays est devenu la Fédération de Russie. Cela lui a permis de battre un record du monde… Une autre histoire improbable, en parallèle, est celle de cet amateur de fréquences radio à Cuba qui a pu communiquer avec lui… Le film confronte les deux hommes, qui vont s’entraider à distance, tout en évoquant les difficultés de leurs patries respectives, comme la surveillance du peuple par le gouvernement…

Ernesto Daranas Serrano : On ne pensait pas que c’était possible de faire un tel film, ne serait-ce que reproduire les conditions de l’apesanteur, le zéro gravité, la station spatiale Mir dans l’espace. Kubrick avait réussi avec 2001 l’odyssée de l’espace. J’avais vu un spectacle du Cirque du Soleil avec des acrobates et des cordes et ça a donné des idées, mon équipe a construit un module spatial avec un système de grue de manière à faire bouger des choses, l’acteur et aussi la caméra. Il y a eu un gros travail de l’équipe, on s’est aussi inspiré d’une réplique de station spatiale de la Cité de l’Espace de Toulouse. Le film a reçu un très bel accueil du public à Cuba. Tout a été une belle expérience. Il y a de la dénonciation et de la lutte dans certaines des choses que je raconte à travers ce film. Je voulais moins faire un film sur cette incroyable histoire entre un radio amateur cubain et un cosmonaute russe qu’un film sur la nouvelle génération. Il y a longtemps Cuba a été un grand pays de cinéma…

Résister à l’effacement

Produire du cinéma à Cuba, diffuser du cinéma à Cuba, voilà des questions complexes au regard du gouvernement politique en place et aussi des difficultés économiques du pays. La cinéaste Agnès Jaoui a nouer des liens forts avec Cuba et plusieurs artistes de l’île-état. Lors d’une discussion, aux côtés d’Ernesto Daranas Serrano, ils ont évoqués un état des lieux du cinéma de Cuba d’hier et d’aujourd’hui, en espérant du mieux pour demain…

Agnès Jaoui : Mon premier voyage à Cuba c’était il y a plus de vingt-cinq ans, j’ai depuis un attachement à la musique cubaine. Avec plusieurs musiciens cubains, on joue de la musique ensemble. J’ai un attachement aux gens de Cuba. J’ai réalisé un documentaire Mi mamita de Cuba à propos d’une femme devenue mère adoptive. Cest un pays que j’aime comme aucun autre. Pour ce qu’on appelle la ‘Révolution’ de Cuba, ce n’est pas passé loin d’un miracle, mais c’est devenu un échec. Aujourd’hui, politiquement, c’est encore compliqué. Les oeuvres de Cuba tant en littérature qu’en cinéma sont très riches, même malgré la censure. Il y a une étrange tolérance et intolérance par rapport aux oeuvres artistiques. Peut-être que j’idéalise des choses, mais il y a certainement quelque chose d’unique et de saisissant avec ce pays.

Ernesto Daranas Serrano : Ici le Festival CinéLatino programme autant les courts-métrages de Nicolás Guillén Landrián des années 1960 que ceux de la nouvelle génération de cinéastes actuels, et ils sont passionnants. Nicolás Guillén Landrián est passé par la prison, par l’hôpital psychiatrique, puis par un exil forcé du fait de la censure. C’est difficile de faire du cinéma quand on est loin de son pays. Quand on pense de manière différente, on développe forcément une forme d’esprit de résistance. C’est difficile pour moi de concevoir un autre lieu de vie que Cuba, même si mes enfants sont exilés. Cuba reste pourtant l’endroit où se situe mon monde et mes personnages et mes histoires que je raconte.

Agnès Jaoui : Beaucoup d’artistes ont un attachement très fort à leur pays. Depuis mes différents voyages, plusieurs connaissances de Cuba ont quitté le pays. Il y a un certain déchirement entre ceux qui restent et ceux qui partent, avec un sentiment d’impuissance très fort. J’admire ceux qui restent, et je comprend ceux qui partent. Peut-être, un jour, j’arriverai à écrire quelque chose là-dessus pour un film, mais je n’ai aucun projet dans ce sens, l’influence de Cuba sur moi, je l’exprime à travers ce que je fais avec la musique.

Ernesto Daranas Serrano : Le terme de ‘dissident’ est un qualificatif sensible, avec une connotation politique très forte contre le régime mais c’est aussi un terme péjoratif pour disqualifier une personne. La vision du gouvernement c’est que le cinéma cubain n’est fait que par des cinéastes qui vivent à Cuba, le cinéma d’artistes ayant quitté le pays est complètement ignoré. Mon opinion est que les films d’un cinéaste cubain sont à considérer de la même manière, peu importe son lieu de vie où son lieu de tournage. C’est pour cette reconnaissance que je gère ‘l’Assemblée des cinéastes’, même si c’est une sorte de chimère et qu’elle est ignorée par le gouvernement. Mais elle montre qu’il est possible de se structurer de façon indépendante. Il y a les cinéastes cubains vivant à Cuba que l’Etat reconnaît sous statut de ‘société de production’, mais comme il y a eu plein de films de cubains éxilés pas officiellement reconnus et qui étaient meilleurs, cela a donné lieu pour eux à un sous-statut de ‘groupe de création’. Je fais mes films de façon indépendante, c’est arrivé que les institutions en place me fassent diverses remarques mais j’ai ferraillé sans être censuré. La censure dépend de la conjecture et de l’actualité nationale et internationale, selon tel ou tel moment des choses peuvent être censurées ou pas, on ne sait pas, c’est flou.

Concrètement le pays est passé de plus de 300 salles de cinéma à seulement environ 20 salles pour La Havane (lire aussi : Un festival pour conjurer le sort d’une production en crise). Le phénomène de censure ne concerne pas que des cinéastes, ça peut aussi viser des manifestations de mécontentement de la population. Or, une société est condamnée quand sa jeunesse disparaît, et d’une certaine façon elle est en train de disparaître quand des parents demandent à leurs enfants d’éviter toute dissension ou quand les enfants vont s’éxiler ailleurs. Il y a quand-même un festival de cinéma de La Havane, il y a des gens qui essaient de faire des choses pour la diffusion de films mais il y a certaines limites. La censure est détournée avec notre système de ‘Paquete‘ et le piratage des films, séries, et musiques venant d’ailleurs… Finalement, ça circule quand-même.

Agnès Jaoui : Il y a des lois qui changent tout le temps, et donc une sorte de tolérance selon le sujet et selon le moment.

Ernesto Daranas Serrano : Mis à part le côté politique, il y a plein de choses liées à la culture, aux racines cubaines, aux histoires de famille qui font se sentir profondément cubain.