Vice-Versa 2 : la guerre des émotions est déclarée

Vice-Versa 2 : la guerre des émotions est déclarée

Fraichement diplômée, Riley est désormais une adolescente, ce qui n’est pas sans déclencher un chamboulement majeur au sein du quartier général qui doit faire face à quelque chose d’inattendu : l’arrivée de nouvelles émotions ! Joie, Tristesse, Colère, Peur et Dégoût – qui ont longtemps fonctionné avec succès – ne savent pas trop comment réagir lorsqu’Anxiété débarque. Et il semble qu’elle ne soit pas la seule…

Cela fait quatre ans (et quatre films) que Pixar ne parvenait plus à retrouver la formule magique qui ont fait ses plus grands films et, souvent ses plus grands succès. Et cela faisait neuf ans que nous avions laissé Riley à son existence de gamine quittant le Midwest pour San Francisco.

On pourrait reprocher à Pixar de ne compter que sur ses chefs d’œuvre pour renaître à chaque fois de ses pixels consumés. La franchise Toy Story a toujours tordu le cou aux idées préconçues sur l’intérêt d’une suite et Les Indestructibles s’en sont sortis haut la main avec leur deuxième opus.

En prolongeant les aventures anodines de Riley, le studio limitait son risque, a priori, même si les derniers films (Alerte rouge, Buzz l’éclair, Luca, Elémentaire) semblaient amorcer une forme de déclin créatif.

Autant dire que ce Vice-Versa 2 est à la fois une résurrection et une bénédiction. Pour son premier long métrage, le réalisateur Kelsey Mann, créatif de la maison, a su reprendre le contrôle de cette histoire au génie Pete Docter.

La confusion des émotions

Outre l’excellence technique et artistique, il s’agit avant tout d’un divertissement haut de gamme pour tous les âges. Pixar renoue avec la force principale de ses récits, composés habilement de diverses émotions, d’action, et d’existentialisme.

À propos du premier film, nous écrivions : « Vice-Versa est une œuvre maligne, divertissante et fantasque. Mais elle a aussi une lecture plus intéressante quant à nos humeurs et l’évolution de nos comportements. En opposant durant l’enfance les cinq émotions de manière binaire (symbolisées par des boules monocolores) et en les amenant vers une psychologie plus nuancée (les boules deviennent bicolores voire multicolores), il s’agit d’une traduction visuelle à la fois sensationnelle et farfelue des phases lunatiques que nous subissons ou des moments extatiques qui nous étreignent. Sans oublier le pourquoi du comment on se retrouve avec une musique idiote dans la tête.« 

On pourrait écrire la même chose sur ce nouvel épisode. Mais Riley grandit. L’adolescence pointe : un petit bouton sur le menton, un appareil dentaire, bref la puberté. Alarme! Gros chantier en perspective : Joie, Tristesse, Colère, Dégoût et Peur vont devoir faire de la place à de nouvelles émotions. En l’occurrence, la dingue et dominante Anxiété, la flegmatique et sarcastique Ennui, la lunatique Envie, et le sympathique Embarras, en plus de quelques incursions précoces de la vieille Nostalgie.

Les mutations du conscient

Le film garde son génie visuel pour illustrer la psychologie de la jeune joueuse de hockey, du subconscient aux souvenirs heureux, du grand huit émotionnel aux sentiments refoulés. Le cerveau est un gigantesque parc d’attraction coloré où l’on croise un broccoli sur la rivière des pensées, le déluge d’ampoules en guise d’idées, le bel héros d’un jeu vidéo très pixellisé et la vedette d’un dessin animé enfantin en 2D (hybridation déjà vue dans Spider-Man : Across the Spider-Verse), traduction des premiers émois conscients, etc.

Et tout va à mille à l’heure. Car, ce qui est enjeu, c’est bien de construire la personnalité de la jeune fille, soit l’affirmation de ce qu’elle est réellement, entre aspirations (bonne personne ou égoïste, déterminée ou insécure), rêves (ethomusicologue, championne olympique ou juge de la cour suprême) et affirmations. De quoi la faire passer dans tous les états, de la plus mesquine à la plus joyeuse, de la plus insaisissable à la plus hypocrite. La mue n’est pas sans souffrances. D’autant que l’imagination et les croyances s’invitent dans la construction du Moi de Riley.

C’est ici que Vice-Versa 2 trouve sa régénérescence : dans une guerre exacerbée entre les émotions basiques de l’enfance, bienveillantes, sincères, et celles qui apparaissent à l’adolescence, plus manipulatrices, culpabilisantes. Plutôt qu’une victoire à la Pyrrhus, Pixar opte pour un nécessaire équilibre où chacun doit faire de la place à l’autre. Mais avant d’en arriver à ce compromis, c’est une bataille de tranchées qui s’opère sous nos yeux, où Joie et Anxiété sont en conflit ouvert pour dominer la console dirigeant les émotions de Riley. Un Dr Folamour intérieur.

Les tourbillons de l’adolescence

N’est-ce pas ça finalement la puberté? Cette guerre hormonale et psychique qui épuise n’importe quel corps et brouille tous les esprits? Habile et intelligent, Vice-Versa 2 n’hésite pas à s’aventurer dans l’absurde et dans le suspense pour faire monter la tension. À cela s’ajoutent les émotions d’autres personnages (parents, amies) qui démultiplient les réactions. Ainsi le cerveau de la mère qui voit réapparaître sa propre Anxiété…

Un peu moins touchant mais peut-être plus drôle que le premier film, Vice-Versa 2 est admirable tant il nous déconnecte notre propre cerveau, lâcher prise salutaire, pour nous embarquer dans cette odyssée sensible et hyper-réactive. Outre l’animation virtuose et les délires judicieux, le film, allégorie de notre mental, est une expérience immersive et identificatrice brillante.

On espère juste que Riley va inviter de nouvelles émotions dans sa tête. Car dans sa safe place uniquement féminine, évidemment multiculturelle, la fille a d’autres territoires à explorer. Après la famille dans le premier film, les relations sociales et amicales dans celui-ci, il serait temps, la puberté étant déclarée que cette fille ordinaire découvre le désir, la frustration, l’amour, l’intérêt, l’empathie, etc…

Car ce Vice-Versa 2 reste quand même une énigme non résolue sur le sujet même de son intrigue. Le corps est complètement absent du cerveau (un comble pour une adolescente) et le sexe est outrageusement absent. Comme s’il refusait de quitter l’enfance et retardait le moment de passer à l’âge adulte. Reste à savoir comment les ingénieux de Pixar aborderaient ce défi, tant la sexualité est un sujet ignoré depuis trente ans dans leur catalogue.