Artefact AI Film Festival : des courts métrages mêlant intelligence artificielle et cinéma

Artefact AI Film Festival : des courts métrages mêlant intelligence artificielle et cinéma

Il y a 25 ans, le Festival International du Film sur Internet imaginait (déjà) que la création cinématographique (expérimentale comme professionnelle) se diffuserait directement en ligne, sans l’intermédiaire de producteurs ou de diffuseurs.

En 2024, on n’en est plus là. YouTube est devenu le premier diffuseur de contenus audiovisuels dans le monde. Les réseaux sociaux ont ouvert la possibilité à des milliers de créateurs (et pas seulement dans le cinéma mais aussi dans l’art ou la musique) de valoriser leur talent directement auprès du « consommateur ».

Le défi est désormais ailleurs. L’Intelligence artificielle commence à s’insérer dans la production cinématographique. Lionsgate et Blumhouse ont annoncé des partenariats avec des géants du secteur (dont Meta). Robert Zemeckis a utilisé une IA pour son nouveau film, Here, qui permet de rajeunir ou vieillir ses acteurs pendant le tournage. L’an dernier, un quart des films en France a intégré un outil d’IA dans son processus de création. « Des partenaires du festival, comme le groupe de production Mediawan se servent aussi du festival comme une cellule de veille technologique. Ils veulent voir ce que l’on peut faire et ne pas faire avec l’IA dans le cinéma« , explique Vincent Luciani, directeur général d’Artefact, dans Le Figaro.

Possibilités infinies

L’Artefact AI Film Festival, conçu par l’agence Artefact et mk2, a été lancé cette année pour incarner cette révolution à venir. Le Festival « se veut une plateforme d’exploration des changements culturels à l’ère technologique, mettant en lumière les impacts de l’intelligence artificielle (IA) sur la création cinématographique. »

Un concours international de courts-métrages – pas plus que 314 secondes et utilisant au moins un logiciel d’intelligence artificielle (IA) générative – accompagne l’initiative, sous le thème « Réalité(s) ». De quoi explorer « les possibilités infinies qu’offre les outils d’IA pour réinterpréter les formes narratives et redéfinir les codes du cinéma. » Au total, 167 films ont été retenus et 20 d’entre eux étaient en compétition.

Le jury était présidé par le cinéaste Jean-Pierre Jeunet. « L’intelligence artificielle m’intrigue, me fascine, me sidère et aussi me questionne » explique-t-il dans le dossier de presse. Toujours dans Le Figaro, le réalisateur d’Amélie Poulain confie : « Lorsque j’ai besoin de décrire rapidement un décor pour un scénario, je demande à ChatGPT. Il me sort une demi-page dont j’extrais quelques lignes à modifier. » L’IA est déjà là.

« Beaucoup de gens disent que l’IA ne fait que puiser dans un catalogue humain qui existe déjà, mais tous les artistes s’emparent de ce qu’ils ont déjà vu. À part quelques grands artistes plus avant-gardistes que les autres, on crée tous à partir des références qu’on a déjà dans la tête » ajoute-t-il.

Le jury comprend aussi Elisha Karmitz, Virginie Ledoyen, Bruno Patino et Enora Hope.

La compétition et ses gagnants

Hier, le 14 novembre, la cérémonie de remise des prix a récompensé quatre films. Étaient décernés un Grand prix (avec 10 000 euros à la clé), un prix du Jury (doté de 1000 euros), un prix de la meilleure utilisation de l’IA, et un prix du Public (1000 euros dans la poche).

Les courts-métrages des finalistes sont disponibles sur la plateforme mk2 Curiosity et sur le site du festival.

Parmi les films finalistes, celui de Matthieu Grambert, ancien collaborateur d’Ecran Noir, avec son film To Wonderland, rare proposition réellement irréelle.

Au milieu de quelques courts qui ne s’émancipent pas de ce que l’animation fait déjà en matière de narration et de création visuelle (souvent en mieux), l’imagination parvient à briller.

Ainsi, nous sommes invités à nous immerger dans des mondes retors et absurdes. La vie d’une patate dans Dips Fake d’Anne Horel, ce qui n’aurait pas déplu à Agnès Varda, le quotidien d’un fromage (et d’un frigo) dans Reese the Smelly Cheese de Rosa Lykiardopoulos, ou une ode au vivant, plus générale dans One with the Nature d’Erik Gen, film hybride faussement documentaire et pas loin du cinéma de genre.

Des univers étranges, il y en a beaucoup. Comme dans The Cartoonist de Nicolas Pomet, inquiétante histoire d’un mangaka en panne d’inspiration. Il y a également le voyage dans un monde aquatique, poétique et presque apocalyptique dans Foam City de Gusti Fink, ou encore celui plus mythologique dans The Last of the Arcanas de Melody Bossan, mix entre Wes Anderson et d’une esthétique pop SF. Sans omettre l’existence ordinaire de cet homme-poulpe dans The Transformation of Reggie O’Brien de Paul Duran-Lemos. Aliens, apocalypse et catastrophes en tous genres fusionnent dans Aqua Alta d’Ouzi Louahem. Mais, pour être honnête, dans le style déjanté, rien n’arrive à la hauteur des lézards. Dans Lazerta Populus, Andres Aloi imagine un monde parallèle où les reptiles sont responsables de tous les vices selon le point de vue d’un conspirationniste.

Constatons cependant que quelques films partagent un récit souvent similaire en termes de narration et de sensations : voix off ou témoignage, épilogue sensationnaliste, musique omniprésente… Rares sont ceux qui défient la réalité ou la possibilité d’un cinéma nouveau quand il s’agit de mouvement ou de séquençage. Les films primés ne font pas exception.

Esthétique Wes Anderson (again) pour le Grand prix du jury. Dans La vie quand t’ai mort de Raphaël Frydman, on suit aussi les tourments existentialistes et l’obsession délirante du 7e art du jeune Raphaël à la narration très « Amélie Poulain ». Une collaboration avec le puritain Midjourney, aidé par Runway.

Prix du jury, Jamais nansa souvenirs d’Ella Bedia est le journal intime en caméra subjective d’une petite fille d’immigré sur fond de clichés d’un monde arabe d’une autre époque.

Pour le prix de la meilleure utilisation de l’IA, E^(I*π) + 1 = 0 de Junie Lau, qui n’était pas parmi les finalistes, a été distingué. La fluidité des enchaînements est impressionnante. Mais soulignons que la réalisatrice est une star dans le domaine, déjà bien installée dans le système (sélection à Tribeca, réalisation d’un long métrage en IA) et a bénéficié d’une équipe technique et artistique pléthorique.

Enfin, le prix du Public a aussi couronné un film qui n’était pas dans les 20 finalistes de la compétition. A Dream d’Evgenia Shabunina, qui s’apparente davantage à un cauchemar. Mais, au moins, dans ce monde où les deep fakes et les images détournées nous envahissent, il faut bien reconnaître que les IA génératives imparfaites sont de parfaites traductions visuelles de nos démons et de nos délires intérieurs.