De Paris à Rome en 1977, le destin d’un écrivain fauché percute celui d’une star montante du cinéma. Leur chemin vers l’amour sera semé d’embuches, de quiproquos et rebondissements.
Alex Beaupain
Dès la première chanson, on reconnaît bien sa patte. Une mélodie pop, élégante et entêtante, parfait écrin pour une chanson déprimante. Pour cette fantaisie musicale, Alex Beaupain, co-auteur de Joli Joli, n’a pas lésiné sur les variations : du jazzy à la bossa nova, en passant par des sons plus variés, allant de la chanson réaliste (« À quoi ça joue les comédiennes« , que n’aurait pas renié un Brel ou un Guidoni) au rock endiablé (« Toute personne« ). Les paroles expriment souvent une détresse personnelle mais les airs procurent toujours un effet réchauffant, à l’image de la chanson « Pardon« . Balayeurs ou huissiers, peu importe, tout le monde chante, danse et rend la vie cafardeuse un peu plus jolie jolie. Nous reviennent en tête des airs de comédies musicales d’antan. Et puis il y a le style du compositeur d’Au départ et d’Après moi le déluge , parfaitement illustré par « Je rate tout » de Laura Felpin. Des bijoux pop rythmés ou suaves, parfois mélancoliques et même lyriques, qui avaient déjà fait le bonheur des films de Christophe Honoré (notamment Les chansons d’amour).
Toutes ces chansons rendent le film de Diastème aussi coloré que glucosé, tel des confiseries (al)chimiques qui agissent comme des Madeleines de Proust pour ceux et celles qui veulent encore croire aux contes de Noël.
Clara Luciani
C’est la première fois que la chanteuse aux quatre Victoires de la musique s’aventure au cinéma. Ce rôle de starlette des seventies lui sied comme un gant. Les airs de Beaupain semblent naturellement moulés pour sa voix. Et sa perruque blonde, très deneuvienne (la neige et le parapluie accentuent le lien cinématographique), l’aide beaucoup à s’approprier un personnage glamour et romantique. Elle parvient à incarner une femme incomprise et malheureuse sans en faire une simple Barbie de grand écran. Elle s’impose aisément dans une histoire qui pourrait presque faire écho à cette expérience : une femme admirée, convoitée, mais un peu étrangère à ce milieu du cinéma et à tous les mensonges qu’il véhicule. « Ton sourire, il peut tuer des gens » lui claque Lebghil. Il n’a pas tout à fait tort… Tout au long du film, on pense au tube de la Luciani, Respire encore, dont les paroles peuvent coller à merveille à ce rôle de femme fatale malgré elle.
William Lebghil
On ne parle pas assez de ce grand comédien français, tout aussi impressionnant que sa tignasse. Actuellement à l’affiche du film Le beau rôle et au générique de la saison 3 d’Hippocrate (de loin l’une des meilleures séries de l’histoire cathodique française), William Lebghil est l’acteur idoine pour endosser le costume élimé de ce paumé, écrivain un peu loser et mec vulnérable quand son cœur palpite trop fort. Et en plus, il sait chanter! Certes, il avait rappé dans Yves. Mais là, il épate en traduisant ses sentiments contradictoires au fil des chansons. il n’a pas son pareil pour exprimer la tendresse qui se dégage de son personnage, même face aux situations les plus compliquées. Et tant mieux qu’il n’ait pas le physique d’un jeune premier ou d’un bellâtre instagrammable. Tout aussi charmeur que séducteur, Lebghil est capable de jouer toutes les variations et sur tous les tempos. Cela ne fait que décupler le plaisir de suivre ses mésaventures amoureuses, rappelant un peu celles de Belmondo dans Le Magnifique.
Laura, Vincent, José, Victor, Jeanne …
Quatre fois deux, ça fait huit. Huit personnages en quête d’amour. Quatre couples qui vont s’entrecroiser, se mélanger, s’interchanger, se disputer, se retrouver. Parfois ce n’est pas joli joli à voir. Un producteur prédateur possessif. Une assistante manipulatrice. Un réalisateur caché dans son placard. Une infirmière nyphomane (« Nymphe, oh man!« ). Et on en passe… Pour leur donner vie, Diastème a choisi une troupe iconoclaste, mais irrésistible. En tête, Laura Felpin, véritable voleuse de scènes attachiante et touchante, mesquine et coquine. Cette mal aimée va être la cause de tous les malheurs… Sera-t-elle sauvée par le beau Victor Belmondo, candide prolo qui ne dit mot?
Moustachu, Vincent Dedienne, gai dandy delonien, incarne un comédien qui rêve de faire son outing, mais son amant, Grégoire Ludig, préfère, en bon cinéaste (de séries B), rester dans l’ombre plutôt que de s’exposer sous les spotlights. José Garcia jouit de se voir si toxique en ce miroir, pour finir complètement accro à une Jeanne Rosa, délicieuse croqueuse d’hommes. Et puis on croise un Alban Lenoir en journaliste insupportable, un Thomas VDB en sale huissier, deux starlettes prêtes à tout…
Toute cette excellente troupe donne au film les allures d’un marivaudage où l’amour doit triompher de tout, et surtout de leurs propres démons.
Ah que l’image est belle
Le chef op’ belge Philippe Guilbert, fidèle compagnon de l’image des films de Diastème, avait déjà démontré avec Souvenir qu’il pouvait combiner l’irréel et le réalisme, l’artificiel et le naturel. De fait, l’image est soignée, le film esthétisé. Que ce soit les rues enneigées de Paris ou les plateaux ensoleillés de Cinecitta, une salle des Champs-Elysées ou un appartement au premier, les décors de Chloé Cambournac (Les femmes du balcon), participent à la reconstitution de ce cinéma de studio qui rappelle les musicals hollywoodiens des fifties.
Joli joli profite de cette délicatesse technique pour s’affirmer comme un film de cinéma, porté par les chorégraphies efficaces et pas tapageuses de Marion Motin, loin du ratage récent de la série Ça c’est Paris. Non ici, on retrouve davantage l’esprit de 8 femmes de François Ozon. Mais ici on ne compte qu’un seul mort : l’ego trip, ce mix d’arrivisme, d’arrogance et d’égoïsme.
Références et révérences
Diastème multiplie les clins d’œil aux films du genre. Les balayeurs nous renvoient à aux ramoneurs de Mary Poppins et autres prolos de Jeanne et le garçon formidable (dernière comédie musicale digne de ce nom dans le cinéma français) ou des Parapluies de Cherbourg. Les Demy sont abondamment cités. La blondeur de Luciani, l’amour contrarié par les coups du sort du destin et autres malentedus et actes manqués, jusqu’à cet hommage plaqué or sur les portes de toilettes de luxe où l’on voit apparaître les noms de Deneuve et Dorléac, éternelles Demoiselles de Rochefort…
Les couleurs chatoyantes, les ambiances féériques et les danses dans les rues de la ville rappellent les musicals de Jacquot de Nantes, mais aussi celles de Chantons sous la pluie ou La La Land. Et puis il y a cet écho avec Moulin Rouge qui partage la même dualité / rivalité entre le mécène financier et l’écrivain fauché. Le bal des infirmières sur « Oh boy » aurait pu être un épisode de La petite boutique des horreurs. La choré des huissiers rappelle la bande de hyènes du procureur de Qui veut la peau de Roger Rabbit.
En arrière plan, Diastème ressuscite la grande époque des studios Cinecitta et des navets de série B, de cette époque où on allait voir un film improbable comme Samba à Rio juste pour une vedette à la mode bien coiffée. Fellini et Coppola sont alors les maestri de l’époque, ceux qu’on vénère. Et puis il y a ce couple Dedienne/Ludig, écho au duo Delon/visconti…
On pourrait muliplier les liens avec le 7e art à l’infini. L’ancien patron de Studio Magazine, Jean-Pierre Lavoignat, apparaît en simple spectateur à l’avant-première. Laura Felpin a tout de la cousine de Josiane Balasko dans Trop belle pour toi. Il y a aussi des particules almodovariennes qui se diffusent au gré des scènes… Tandis que José Garcia hérite d’un personnage nommé Klaus, ce qui rime bien avec Faust. « – Vous êtes qui au juste, le diable? – Vous me flattez. » Or on sait que le diable se cache dans les moindres petits détails.
Romantisme sucré et acidulé
Joli Joli ne manque pas d’humour et de second degré. « – Tu sais que je suis obligé de coucher avec tous les réalisateurs, c’est dans le contrat » rappelle le personnage gay de Dedienne. « – Et les réalisatrices? – Ah, bah aussi. Enfin j’essaie« .
Dans cette histoire d’un écrivain qui se sent « nul« , d’un couple dont la complainte s’intitule « miséricorde« , d’une pauvre fille qui « rate tout » (même le carton d’invitation de l’avant-première), où chacun cherche à en avoir « le cœur net« , on aurait pu verser dans la dépression tendance abus de glace Haagen-Dasz. Mais Diastème et Beaupain ont voulu s’aérer les idées (et les nôtres) avec un film romantique (sans tragédie), mettant des paillettes dans la vie et laissant la saveur d’un bonbon pétillant sur la langue. On y parle de célibat subit, de panne d’inspiration, de toxicité masculine, d’homophobie. Mais tout cela avec la légèreté d’un conte où princes et princesses vont trouver la bonne chaussure de vair à leur pieds et finir bien-aimés.
Car si les histoires d’A finissent mal en général, les auteurs ont préféré, pour notre plus grande joie, un happy end choral réconfortant et réconciliant. Ça twiste again l’amour fou, ça balance toujours pas mal à Paris. C’est une lumière rose dans notre ciel gris. Un mojito, avalé un petit cacheton de LSD, pour nous divertir joliment de notre époque anxyogène. Bref, c’est « folie folie ».