Le dossier Maldoror : Fabrice Du Welz revisite le scandale toujours tabou de l’affaire Dutroux

Le dossier Maldoror : Fabrice Du Welz revisite le scandale toujours tabou de l’affaire Dutroux

Belgique, 1995. La disparition inquiétante de deux jeunes filles bouleverse la population et déclenche une frénésie médiatique sans précédent. Paul Chartier, jeune gendarme idéaliste, rejoint l’opération secrète « Maldoror » dédiée à la surveillance d’un suspect récidiviste. Confronté aux dysfonctionnements du système policier, il se lance seul dans une chasse à l’homme qui le fera sombrer dans l’obsession...

Ce n’est pas un mystère et c’est même tout l’intérêt du film : Le dossier Maldoror est directement inspiré de la célèbre affaire Marc Dutroux en Belgique et de ses possibles ramifications. Peu importe ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir, le film se déroule au présent sur les années 1995, 1996, et suivantes de manière chronologique; et par éclipse du point de vue d’un policier qui va s’impliquer dans son enquête plus que les autres, au point d’être obsédé par ce qu’il découvre et ce qu’il lui reste à découvrir. Aux spectateurs de suivre les avancées, tout comme les reculs de cette affaire, qui devient de plus en plus scandaleuse.

Le dossier Maldoror est d’abord et avant tout un grand film policier dans la tradition du genre : une enquête constituée de recueil d’indices, de recoupements, de surveillance de suspects, et obstruée par les dysfonctionements entre plusieurs services de gendarmerie et de police. Pour raconter cette affaire de manière fictive, il n’y a aucun Marc Dutroux dans cette histoire : on le remplace par le personnage Marcel Dedieu. Si le scénario est proche d’une grande partie de la réalité, il s’agit bien ici, avant tout, de cinéma. Le film s’offre quelques folles séquences et se permet de nombreuses libertés. Soit la signature du cinéaste Fabrice Du Welz.

« Ce n’est pas le moment de devenir la risée des autres services. »

L’histoire nous ramène à la région de Charleroi au milieu des années 90 (l’époque du fax). Un jeune policier idéaliste Paul Chartier (Anthony Bajon) débute dans le métier. On apprendra qu’il a eu une jeunesse compliquée mais que son mariage avec la jeune femme d’origine sicilienne dont il est amoureux lui donne une nouvelle assurrance dans la vie. Il y a des frictions et des rivalités entre gendarmerie, police municipale et police judiciaire (ce sujet est d’ailleurs mis en avant dès l’introduction du film).

Le contexte est planté. Deux fillettes ont disparu. C’est vu à la télévision. Il faudrait retrouver leur trace mais ce n’est pour le moment qu’un simple et tragique fait-divers. Une enquête en cours concerne des fausses plaques d’immatriculation, il y aurait une camionette blanche, peut-être des liens entre différrents hommes louches et plusieurs adresses… Personne ne sait vraiment où cette enquête nous mène, ni même si c’est vraiment utile de continuer à creuser. Surveiller devrait suffire.

Fausses pistes

Plus l’enquête devient médiatique et plus la vie personnelle du jeune policier s’efface. L’affaire va le vampiriser. Le dossier Maldoror joue avec le spectateur, mêlant ses possibles connaissances et les véritables étapes de l’investigation (ce qui a été raté, trop lent ou laissé de côté). Le scénario s’attache à mettre en avant les multiples dysfonctionements et le travail opiniâtre d’un flic ordinaire consciencieux.

L’affaire Dutroux est restée un véritable trauma en Belgique. Faire un film sur le sujet était transgressif en soi : raconter quoi et comment ? Fabrice Du Welz relève le pari avec un certain brio pour briser le tabou.

Calvaires

Il explore depuis longtemps la manière de représenter les violences physiques comme les violences morales. Au choix : séquestration perverse dans Calvaire, deuil et incursion des vivants dans un monde de fantômes dans Vinyan, femmes séduites pour être tuées par un un couple psychopathe dans Alleluia, fugue éperdue de deux adolescents d’une clinique avec Adoration, implosion d’une famille d’un ecrivain usurpateur sans talent dans Inexorable.

Même s’il y explore la représentation de plusieurs formes de folies, ses films ne se ressemblent pas. Sa filmographie fait l’écart entre une hyper-violence visuelle (Calvaire, Alleluia) et une certaine abtraction narrative (il y a peu de dialogues dans Adoration) en passant par un épisode de mysticisme fantastique (Vinyan étant sans doute son film le plus ambitieux). Fabrice Du Welz explore des formes de cinéma radical où s’entremêle démence, démons intérieurs, horreur, et (une forme d’) amour dans ce qu’il a de plus pur mais aussi de plus déviant. Et on retrouve certaines de ces thématiques souterraines dans Le dossier Maldoror.

« J’ai honte d’être Belge. »

Il y a également une certaine ‘belgitude’ dans son œuvre – en particulier dans Calvaire,Alleluia et Adoration qui forment une sorte de ‘trilogie des Ardennes’ (même région, prénoms de personnages identiques d’un film à l’autre). C’est encore le cas ici où on retrouve certains de ses acteurs fétiches : Laurent Lucas, Jackie Berroyer, David Murgia, auxquels s’ajoutent Alba Gaïa Bellugi et une apparition Mélanie Doutey (après Inexorable). Nouveau venu, Anthony Bajon trouve naturellement sa place dans cet univers.

Derrière la caméra, le cinéaste reconstitue sa fidèle équipe avec Manuel Dacosse en directeur de la photographie, et Vincent Cahay à la musique.

Le dossier Maldoror dévoile ainsi la perversité cruelle de certains hommes, mais il cherche à comprendre l’humain (face au Mal). Personne ne suppose l’ampleur que va prendre cette affaire. S’il le scénario s’attache à restituer les faits dans sa première partie, il prend davantage de libertés dans son dernier tiers. La fiction ‘alternative’ prend le pas avec une chasse à l’homme qui n’a plus rien de réelle. Il dévie vers une thèse plus complotiste peut-être pas nécessaire, même si très tentante cinématographiquement. Fabrice Du Welz interpelle le spectateur à propos de la nature du châtiment après de tels crimes. Le cinéma se doit-il d’être juge et partie?

On pourra remarquer les influences croisées de Zodiac de David Fincher (l’obession de l’enquêteur), de Memories of murders de Bong Joon-ho (les dysfonctionements des polices), du Parrain de Francis Ford Coppola (une séquence de mariage, ici bien trop longue), de Once upon a time in Hollywood de Quentin Tarantino (la reconstitution d’un fait divers sensationnel, avec une conclusion différente).

Le dossier Maldoror navigue ainsi entre parano et justicier solitaire. Une uchronie intéressante qui flirte métaphysiquement avec un cinéma binaire où le Mal absolu doit être éradiqué…

Le Dossier Maldoror
2h35
Sortie en salles : 15 janvier 2025
Réalisation : Fabrice Du Welz
Scénario : Fabrice Du Welz, Domenico La Porta
Musique : Vincent Cahay
Avec Anthony Bajon, Alba Gaïa Bellugi, Alexis Manenti, Sergi López, Laurent Lucas, David Murgia, Béatrice Dalle, Lubna Azabal, Jackie Berroyer, Mélanie Doutey, Félix Maritaud, Guillaume Duhesme...