Eté 2023 : Des bombes qui explosent le modèle Hollywoodien

Eté 2023 : Des bombes qui explosent le modèle Hollywoodien

Des phénomènes du box office qui damment le pion aux franchises, des super-productions très décevantes ou trop prévisibles, une grève des auteurs et des acteurs qui paralysent le système, des marchés à l’export de moins en moins favorables aux films hollywoodiens, des plateformes qui s’accaparent les films d’action, les rom-com, l’animation et les docus… Les studios ont vécu un été mouvementé. Au point de s’interroger sur la pertinence de leur modèle économique (au détriment de leurs ambitions artistiques) à moyen et long terme.

Un été de surprises, bonnes ou mauvaises. Et si, après l’avènement des plateformes pendant la crise de la Covid et le déclin inexorable des chaînes de télévision classiques, 2023 n’allait-elle pas être une année pivot dans la déjà très cahotique histoire du cinéma?

Ici, il ne s’agit pas de prédire la mort ou la renaissance du 7e art, qui a toujours su séduire des masses de spectateurs même au pire creux des vagues.

Mais le box office nous dit quelque chose, tout comme les chiffres en streaming. Les bombes sont de retour. Pas seulement la bombe blonde, héroïne de cinéma, telle Barbie. Ou la bombe fatale, vedette à l’honneur d’Oppenheimer. Il faut aussi compter sur les bombes financières des studios, ces fiascos coûteux qui n’ont pas recouper leurs investissements. De quoi sérieusement remettre en question les stratégies des grands studios.

Barbenheimer

Le phénomène Barbie, comme le spectaculaire succès du biopic dramatique Oppenheimer, révèlent d’abord qu’une histoire originale (sous entendu, ni une préquelle, ni une suite, ni un remake ou un reboot, ni une marque de franchise) s’avèrent bien plus payants, surtout quand leurs budgets, pourtant faramineux (entre 100 et 150M$ hors marketing), sont maîtrisés. L’an dernier, Elvis (avec 290M$ de recettes dans le monde) et Bullet Train (240M$) étaient les seuls films (hors productions chinoises) « originaux » à s’être glissés dans le Top 20. En 2021, aucun n’avait franchi le cap des 400M$ (score approché par Dune). Et si on remonte avant la pandémie de Covid, en 2019, seuls quelques films hors franchises avaient brillé autour des 350-400M $ tels Once Upon Time in Hollywood ou 1917.

Autant dire que Barbie et son 1,4 milliard de dollars et Oppenheimer avec ses 870M$ explosent les compteurs ou les remettent à zéro, selon. Les médias ont souvent souligné que Greta Gerwig était désormais la première cinéaste à avoir réalisé un film milliardaire en solo. On pourrait ajouter, que Margot Robbie pourrait être la première actrice depuis les années 1960 à être en tête d’affiche, avec le rôle principal, du champion du box office annuel.

De même, Oppenheimer, avec en figure de proue un acteur qui n’est pas de catégorie A, a profité du fandom de son réalisateur. C’est le biopic ayant cumulé le plus de dollars en recettes courantes aux Etats-Unis, et il se classe deuxième dans le monde derrière Bohemian Rhapsody. C’est un triomphe pour un film utilisant une narration non chronologique, des séquences entières en noir et blanc, deux « procès » remplaçant les scènes d’action et une durée de près de trois heures.

En rose et noir

Barbie, film plus dramatique que comique, rafraîchissant même si tous les messages sont stabilobossés en rose, a bénéficié d’un marketing intelligent et viral, ainsi que de son discours féministe (quoique : entre Ken qui lui vole la vedette et les femmes qui sont réduites à un vagin matricielle, on y voit surtout une entreprise cherchant à relancer les ventes de ses poupées), satirique (mais convenu et bien encadré), et ouvertement grand public (rassurant et prude). Malgré l’ennui subit par cette fable gentillette, très hétéronormée (n’en déplaise à ceux qui y voient l’homosexualité partout) et remplie de poncifs, la poupée de Mattel a séduit au-delà des espérances avec un film qui rappelle le cinéma américain des années 1990, entre Forrest Gump et La revanche d’une blonde.

Oppenheimer, malgré sa lourdeur, proposait une sorte de JFK à la Oliver Stone, lui aussi datant de plus de 30 ans, plus spectaculaire que profond (lire nore critique). Dans les deux cas, les scénarios ont été écrits avec application, mis en scène sans subtilité, dans une forme de belle mécanique mainstream. Ce qui rend les deux films interminablement longs, privés de tout élan et de tout charme. Et pourtant, les spectateurs, en quête de belles histoires, les ont plébiscités.

L’émotion plutôt que l’action

Car, peu importe que nous n’ayons pas été convaincus par ces deux propositions cinématographiques de deux bons cinéastes, portées par d’excellents acteurs, et artistiquement de bonne qualité. Ces deux cartons montrent que le spectateur est revenu dans le salles pour voir autre chose que des Marvel, Indiana Jones, Mission Impossible et autres Fast & Furious.

C’est d’autant plus frappant que le revirement est inattendu, même si on se doutait bien que Barbie et Oppenheimer allaient être de jolis succès. De là à les voir dominer le box office mondial, en sortant le même jour dans de nombreux pays… On est plus proche du phénomène. Et comme tous phénomène, on sociologise, on analyse, on hystérise…

À chacun, des causes diverses. Mais après le succès d’un très classique et vintage Top Gun Maverick, d’un Super Mario Bros ou d’un Avatar, tous issus de « marques » déjà connues, le carton de « Barbenheimer » confirme que le public est avide de sensations au moins autant émotionnelles que spectaculaires, de récits humains à égalité avec des exploits extraordinaires. En cette fin d’été, le fait que Barbie, Oppenheimer et Super Mario Bros dominent le box office est un fait notable : c’est la première fois depuis 2001 que le podium du box-office mondial ne contient aucune œuvre issue d’une saga ou d’une franchise.

L’échec du fordisme

C’est un fossé géant qui s’est creusé par rapport aux succès des récentes années (rien que l’an dernier : Jurassic World, Dr Strange, Black Panther, Thor, les Minions…) qui reposaient sur des sagas ou franchises balisées avec des scénarios souvent insipides ou mal inspirés). Y-a-t-il une tendance de fonds qui remettrait la mise en scène et les enjeux personnels au cœur de la fiction?

Aussi, on ne s’étonnera pas du succès dans la durée d’Elémentaire, le dernier Pixar, malgré des critiques médiocres, du bon score pour le dernier opus des Gardiens de la Galaxie, qui confirme la singularité de cette trilogie dans l’univers Marvel, et surtout le consensus critique et public autour du deuxième épisode de Spider-man version animée.

Tous ont en commun une direction artistique de qualité, une histoire davantage basée sur la psychologie des protagonistes et un message reposant sur l’idée de solidarité et de respect de la différence. Loin des polémiques sur ce qui est woke et ce qui est reac. Tous confirment que les films et dérivés (séries, spin-off…) à la chaîne ont été battus par des œuvres plus singulières, à défaut d’être artisannales.

Des spectateurs plus exigeants

Il est tout aussi intéressant de constater que le pur divertissement fonctionne moins bien. Que sauver le monde ne suffit plus, même si on fait les cascades soi-même. Que l’absence de relations amoureuses complexes, de second degré subtil ou d’enjeux dramatiques personnels enlève de l’intérêt au spectateur. Que les effets spéciaux ne sont plus un argument en soi. Que l’itinéraire individuel compte davantage qu’une mission improbable.

Evidemment, on a regretté ces derniers mois que des œuvres plus intimistes, ou des films d’auteurs (The Fabelmans, Babylon, Asteroid City…) ne soient pas plus plébiscités par le public (en dehors des irréductibles Français). On se désole aussi que des films comme Sound of Freedom fassent plus d’entrées que Air, que de nombreux films de grands cinéastes ne sont même plus visibles en salles, que les propositions les plus originales ne touchent désormais qu’un public de plus en plus restreint, comparé aux années précédentes. Il en est d’ailleurs de même pour les films de festivals ou les fameux films « oscarisables ».

Pour cet automne, les studios peuvent espérer que The Marvels, le prequel d’Hunger Games, la suite d’Aquaman et la gourmandise Wonka réveillent l’appétit des spectateurs pour leurs marques prestigieuses. Cependant, à Hollywood, on se pose déjà des questions. L’automne arrivant, les films qui font le buzz sont tout à fait différents : un biopic sur Napoléon signé Ridley Scott et un drame fleuve de Martin Scorsese dans les salles, aux côtés d’une prolifération de films d’auteurs sur Netflix (The Killer, Nyad, May December…). En France, Ferrari de Michael Mann sera programmé sur Prime Video. Un film devrait faire l’événement : celui de la dernière tournée milliardaire de Taylo Swift, qui bat des records de pré-ventes.

La guerre des écrans

Les plateformes de streaming jouent depuis quelques années dans la cour des studios. Cette année, on a même l’impression que les films de festivals débouchent naturellement dans nos foyers sans passer par la case cinéma. Aux USA, hormis quelques irréductibles distributeurs indépendants (Neon, A24…), les studios ne prennent quasiment plus de risques. Warner a rompu avec Nolan (récupéré par Universal) et a failli remettre en question le deal séculaire avec Eastwood. Disney a abandonné sa filière adulte (pourtant Touchstone nourrit fortement Disney+).

On ne s’étonne plus de constater que la suite de Wallace et Gromit sera exclusivement visible sur Netflix alors que le premier film des studios Aardman avait récolté 225M$ au box office mondial (dont 3,2 millions d’entrées en France). Même chose pour A couteaux tirés : 310M$ en salles dans le monde et des suites réservée aux abonnés de Netflix (avec succès pour la première, Glass Oniion). Il faut aussi compter sur les multiples déclinaisons non chronologiques des sagas Star Wars et Marvels qui saturent l’offre de Disney +. Le cinéma semble désormais réservé à quelques films par an, souvent similaires. Et c’est bien là l’erreur alors même que le spectateur revient dans les salles.

Notons que la France fait presque figure d’exceptions avec une production soutenue, une distribution éclectique et de très beaux scores de fréquentation pour des films aussi divers que Tirailleurs, Je verrai toujours vos visages, Sur les chemins noirs, Mon crime ou Anatomie d’une chute. Sans oublier les suites d’Asterix et d’Alibi, deux films nationaux dans le Top 10, une exception en Europe. On ne sera pas surpris que les producteurs italiens remettent du financement dans la machine, que les cinémas coréens et japonais se portent bien avec leurs productions nationales. Mais c’est aussi dans ces pays, avec l’Espagne, le Mexique, l’Inde, la Pologne et l’Allemagne, que les plateformes investissent le plus depuis quelques temps pour assurer une fidélisation des publics nationaux.

Vampirisation du film d’action

Disposant de considérables moyens, les plateformes ont aussi squatté le genre du film d’action, jusque là privilège de studios aux poches pleines. Pourquoi aller voir Mission Impossible puisque nos instincts primaires pour les coups retors et les coups de savates, les courses poursuites et les cours de géopolitique sont désormais l’un des genres favoris des streamers, que ce soit en film ou en série. Netflix y met d’ailleurs de sacrés moyens, avec, souvent, une belle réussite d’audience : Gray Man, Tyler Rake, Red Notice, et cet été Agent Stone (un Mission Impossible au féminin avec Gal Gadot en wonder agent). On fait le tour du monde, on chasse le rénégat, on utilise des technologies militaires, on s’espionne et contre-espionne. Même Apple s’y est mis avec le film distrayant et pétaradant Ghosted, sorti cet été. Bref Ethan Hunt et James Bond ont été piratés. Une vampirisation qui détourne forcément le spectateur quand le cinéma ne parvient pas à faire une surenchère infinie, sauf à dramatiser et humaniser les enjeux. On en revient encore et toujours au scénario.

On le constate : on est à la croisée des chemins. Entre une fatigue des films de super-héros, qui pourraient terminer comme les cow-boys des Westerns dans les années 1960, des plateformes qui diffusent simultanément (sauf en France) des blockbusters (ce qui a tué des films comme Black Widow au box office), des sagas déclinées jusqu’à saturation pour les salles comme pour les foyers, sans apporter grand chose d’un point de vue cinématographique, le contenu est devenu un produit de consommation et de distraction qui n’a plus rien à voir avec l’objectif d’un film de cinéma : une transmission artistique, une émancipation du spectateur, une réflexion sur le monde ou même un divertissement qui se différencie par sa dimension cinématographique.

En finir avec le fake

À force d’effacer les personnages dans un fatras d’effets spéciaux, de noyer leur individualité dans des scénarios photocopiés, et d’oublier tout ce qui caractérise l’humain qui est dans chaque héros, les franchises sont dans une impasse. Pour plaire à tout le monde, on ne cherche même plus à dépasser le stade de la romance ado très prude (voire puritaine) pour des histoires d’amour d’adultes, on gomme tout désir ou sexualité, pour, dans un souci monothéiste, ne retenir que la lutte intime ou exposée entre le bien et le mal. Le sang ne coule plus (hormis sur une arcade sourcillière). On tue proprement. Et quand c’est un « gentil » qui meurt, il n’y a plus de place, de temps pour le deuil, la souffrance, la douleur. On zappe à la scène suivante sans que ça n’affecte réellement les autres protagonistes.

A ce point irréelles, les mécaniques du scénario hollywoodien sont devenues des tragédies insipides, à quelques exceptions, doublées d’une morale convenue sur la famille, l’amitié, l’amour (ou les trois). C’est d’ailleurs le reproche que nous avions fait à Avatar, trop simpliste pour nous emballer. En cela, reconnaissons que Barbie et surtout Oppenheimer montrent autre chose que ces valeurs bienveillantes et naïves. À trop imposer une façon de vivre, une manière d’être heureux, tout en évitant les sujets tabous (maladie, mort, trahison, dépression, vieillesse, etc…), Hollywood nous a perdus depuis longtemps. Même si, parfois, on note une certaine inflexion : de Thor à Indiana Jones, les scénaristes tentent dans un univers factice d’insuffler de l’humain. Mais, plus généralement, les studios sont toujours persuadés qu’il faut mieux tuer la femme immorale au père de famille (The Avengers) ou qu’une attirance sexuelle se résume à un baiser chaste.

Et on ne parle pas de l’emprunte carbone de tous nos héros, Hunt, Bond, Stone et consors. Aucune remise en question « durable » du côté des scénaristes. Des jets privés aux grosses cylindrées, tout est bon pour raccourcir les délais réels entre deux bouts du monde.

Des genres entiers de cinéma disparus des salles

Mais après tout, pourquoi se plaindre? Si c’est moins la came des cinéphiles qui peuvent se rassasier chez eux avec toutes les offres (films, séries, jeux vidéos), peut-être que les actionnaires / patrons des studios reviendront à un cinéma plus enrichissant pour les salles de cinéma? Car, comment concurrencer des énormes hits Netflix comme Red notice, Glass Onion, 6 Underground, Spenser Confidential ou The Old Guard, tous au dessus de 200 millions d’heures visionnées dans le monde? Même en France, Netflix a pris l’ascendant pour ce type de films (de la pure adrénalyne dopée à la testostérone) avec les succès de Bronx, Sans répit ou Balle perdue

Le cinéma va-t-il abandonner ce territoire aux plateformes comme il a lâché les rom-coms et les polars ? Coexisteraient alors en salles des mastodontes opératiques, des films d’horreurs peu coûteux mais ultra rentables, des films de festivals, et des comédies nationales (beaucoup de candidats au triomphe populaire, peu d’élus). On pourrait croire à une caricature mais finalement que se passe-t-il dans l’animation et le documentaire?

Une grande partie est destinée directement aux plateformes et chaînes de télévision. A quelques exceptions rares, les longs métrages d’animation pour adultes ne trouvent pas leur public. Ceux ciblant ados et familles ne retrouvent pas la fréquentation des années fastes de Pixar, Dreamworks, Aardman, Blue Sky et autres Illumination. Quant au documentaire, seuls La panthère des neiges, Le chêne, Lourdes et Ni juge, ni soumise ont dépassé les 200 000 spectateurs en France. Or que ce soit de l’animation ou du documentaire, les Netflix, Disney + (avec son catalogue mais aussi celui de Nat Geo), Canal + ou les télévisions publiques en sont friands pour fidéliser les abonnés.

La guerre est déclarée?

Cette lente dérive de la salle vers le foyer paupérise la diversité de l’offre au cinéma (la France reste là encore une exception) et transforme radicalement les modèles économiques de ce genre de films. Si en plus les studios doivent investir dans des sujets originaux plutôt que dans des franchises rassurantes, le risque ne sera plus le même. Ce ne sera pas le premier grand basculement de la jeune histoire du cinéma. Mais sans aucun doute arrive-t-on à la fin d’une période hyper-industrielle du 7e art, débutée dans les années 1970 pour devenir incontournable depuis une vingtaine d’années.

Entre la lassitude des spectateurs et le formatage des productions, il semble qu’on arrive aux limites de cette usine à contenus. L’usine à rêves (et à émotions) a l’occasion de se réveiller. Martin Scorsese, dont les deux derniers films ont été financés par Netflix et Apple, ne dit pas autre chose dans sa récente interview pour Time Magazine. Pour lui, ils doivent toujours défier les studios au nom de la création cinématographique personnelle. « Les jeunes qui s’expriment à travers des images en mouvement vont trouver un moyen d’être vus. Mais ils doivent se battre, ils doivent vraiment, vraiment se battre et ne pas se laisser coopter. » Ajoutant à propos des studios : « Au final, ils disent : ‘Eh bien, qui veut de la création cinématographique personnelle ? Regardez ce qui s’est passé dans les années 70. À la fin, vous êtes tous devenus fous ! Vous avez dépassé votre budget et votre planning, et vous avez réalisé ces trois films, Apocalypse Now, Raging Bull et Heaven’s Gate !’« 

Errare humanum est, sed perseverare diabolicum 

Le cinéma est une question de désir pour qu’on s’y déplace. Et c’est un désir de plus en plus coûteux. Pour les producteurs comme pour les spectateurs. Quitte à payer une place de plus en plus hors de prix, en espérant un plaisir garanti, il faut que le film « transporte ». Le réflexe « on attendra que ça passe à la télé » est souvent plus grand, surtout quand des abonnements, pas si chers, permettent une offre bien plus ciblée et satisfaisante.

Tout cela ne signifie pas la fin des sagas, franchises et autres univers. Si le nombre de contre-performances a augmenté ces derniers mois, c’est davantage à cause du scénario paresseux et d’un imaginaire souvent déjà vu (quand il n’est pas laid), voire d’une perte d’ADN (ce fut le cas avec Die Hard, et dans une moindre mesure avec Mission Impossible Dead Reckoning I, davantage un film d’action que d’espionnage). Le patron de Disney a aussi relativisé le semi-succès d’Indiana Jones : la sortie du cinquième opus a en effet revigoré les visionnages des quatre autres épisodes sur Disney +. Sans compter les revenus annexes (VàD, passages télévisés…).

Pourtant, le même patron de Disney a reconnu que la marque Pixar avait perdu en pouvoir d’attraction parce que ses films ont été diffusés sur Disney + (pour lancer la plateforme) plutôt qu’au cinéma, et qu’il y avait eu trop de Marvel et de Star Wars dans tous les sens (parasitant les sorties ciné). Résultat, le nombre d’abonnés à Disney fléchit. Netflix a aussi remis en question une partie de sa politique de financement de contenus. Avec une stratégie par pays, moins de films aux budgets astronomiques et des coupes dans plusieurs projets, notamment en animation. La plateforme continue de voir son nombre d’abonnés légèrement augmenter, et rester la référence dans le secteur. Plus généralement, on peut regretter qu’il manque souvent de l’audace, de la singularité et une réelle vision d’auteurs à cette profusion de contenus.

Ceci n’est pas un contenu

Les studios et les directeurs de programmes ont trop pris l’ascendant sur les créateurs. Une lapalissade. Soulignant la mort lente du cinéma indépendant et l’absence de liberté pour les réalisateurs, Richard Linklater ne disait pas autre chose au Festival de Venise :

« Les entreprises technologiques sont arrivées, et nous sommes passés d’un cinéma considéré comme un art, ayant de la valeur, à un simple « contenu » sur lequel vous cliquez. Mais en fin de compte, personne n’est satisfait de cette situation. Même les personnes de la tech crient qu’elles perdent des milliards de dollars. C’est pourtant leur monde auquel nous nous sommes adaptés, et ils ne sont pas heureux ? Ce sont les seigneurs tout-puissants qui ont mis tout les autres hors du marché !« 

C’est en grande partie ce qui explique ce virage de l’été 2023. Des films dramatiques en tête d’un box office régénéré, des films d’action et d’animation plus populaires en streaming, des franchises qui lassent, des œuvres d’auteurs plus marquantes dans l’esprit des spectateurs, des pertes financières pour presque tous les studios… et deux grèves longue durée qui bloquent désormais tout le système, provoquant des licenciements sur toute la chaîne.

Depuis que les scénaristes, en mai, et les acteurs, en juillet, ont décidé de se rebeller contre les studios, rien ne va plus. D’autres branches, comme celle des effets spéciaux, se syndicalisent. Et la bataille est âpre, quand il y a un simulâcre de négociations. Là encore, Bob Iger, le patron de Disney n’a pas arrangé les choses avec des propos incendiaires vis-à-vis des grévistes.

Un hiatus coûteux

Les productions indépendantes sont encore autorisées à tourner et à se promouvoir dans les festivals, après dérogation syndicale. Mais pour toutes les autres, la pause est de rigueur. Une pause qui peut coûter d’autant plus chère quand le tournage avait déjà commencer, à l’instar de Deadpool 3 ou Gladiator 2 (on évoque 600 000 $ par semaines). Faute de pouvoir compter sur ses stars pour répandre la bonne parole marketing, plusieurs sorties de films ont été reportées à l’année prochaine, y compris la suite de Dune (désormais calée à mars 2024). Si la grève s’enlise, d’autres blockbusters seront certainement « décalés ». C’est d’autant plus probable que, plus le temps passe, plus les tournages sont retardés, et avec eux la post-prod, moins il y aura d’offres dans les mois à venir. Il faudra bien combler les vides du calendrier. Cela vaut aussi pour les séries. Pour l’instant, le stock est là. Mais il risque de fondre rapidement.

Soyons optimistes : cette double grève, aussi nécessaire qu’existentielle pour les auteurs comme pour les acteurs (demandes légitimes, craintes fondées, réclamations non exagérées), peut avoir des effets vertueux. Avec moins de blockbusters, les films indépendants pourraient retrouver leur place dans les salles, les films nationaux regagner des parts de marché, tout comme les séries produites en Corée du sud, France, Allemagne, Espagne, Italie, Japon et autres territoires des plateformes, pourraient prendre une plus grosse part du gâteau dans les visionnages.

Business model obsolète

On constate aussi que les patrons de studios américains sont en plein désarroi. Warner change une nouvelle fois sa stratégie (notamment avec son catalogue DC), Disney remet tout à plat, Universal et Paramount se débattent dans les pertes de leurs chaînes de streaming, Netflix réduit la voilure sur des pans entiers de son programme, etc. Cet été leur a prouvé que leurs recettes toutes faites n’assurent plus des recettes espérées.

Surtout qu’ils n’échappent pas à la géopolitique mondiale. L’export a toujours été le fer de lance de leur modèle économique. Or le monde se complique. La Russie est fermée, pour cause de sanctions. L’Inde préserve farouchement son industrie et développe des créations qui ne sont plus réservées au pays et à sa diaspora. La Corée du sud continue de défier Hollywood avec la moitié de son Top 10 composé de films nationaux. Le Japon n’a plébiscité que trois films américains cette année. Quant à la Chine, les studios ne peuvent plus compter sur ce territoire pourtant crucial : les blockbusters chinois dominent largement les productions hollywoodiennes, au point d’obtenir des scores proches en recettes à ceux d’une sortie mondiale d’un film américain. Cette montée du protectionnisme chinois – qui touche aussi les grandes marques de la tech sur fond de rivalité économique et politique – n’augure rien de bon pour les studios américains, qui vont devoir revoir à la baisse le potentiel de leurs recettes mondiales…

Le siège d’Hollywood

On peut sans doute imaginer que l’inflation des super-productions arrivent à son terme. Les patrons vont changer la manière de produire, financer, distribuer leurs films. Même si Mattel rêve désormais de « franchiser » Barbie et ses autres jouets vedettes, si Warner espère un doublé Chalamet (Wonka et Dune 2) et si Disney peut compter sur Avatar, ce seront peut-être des exceptions, qui permettront de perpétuer le goût de la salle de cinéma, profitant ainsi à un Yannick (été 2023) ou un As bestas (été 2022).

De toutes parts, le système hollywoodien est attaqué : la domination n’est plus mondiale, les travailleurs font grève, les spectateurs ne veulent plus payer 15 euros pour un navet aussi époustouflant soit-il, et la plus grosse agence de stars (CAA) vient d »être rachetée par des frenchys (la holding de la famille Pinault) pour étendre la liste de talents à des influenceurs et multiplier les supports de création pour les artistes « classiques ».

Tels des climatosceptiques, les actionnaires des studios aimeraient croire que la technologie – IA, algorithmes, etc. – résoudra leurs problèmes. Or l’effondrement n’est pas si loin s’ils ne revoient pas leurs stratégie. L’été 2023 est une bombe à fragmentation : des acteurs et des auteurs qui bloquent le système en rappelant qu’ils sont essentiels à la fabrication des « contenus », une concurrence avec les séries, les jeux vidéos et des films nationaux qui grignottent leurs part de marché, des revenus annexes de moins en moins importants, des franchises qui ne sont pas rentables tant les coûts sont démesurés, des spectateurs qui demandent de nouveaux récits à partager collectivement, des tickets de cinéma devenus hors de prix alors que le pouvoir d’achat se réduit comme peau de chagrin…

Les années à venir seront cruciales pour le 7e art : Reviendra-t-on à une économie fondée sur la création plutôt que la multiplication? Ou, au contraire, les algorithmes et l’intelligence artificielle prendront-ils le dessus au risque d’étouffer toute vision et toute originalité ? En attendant, il semble que nous sommes sur une voie médiane, où coexistent deux types de cinéma antagonistes. Au spectateur (et cinéphile) de faire les bonx choix…