Les projets de long métrage d’animation repérés au Cartoon Movie 2024

Les projets de long métrage d’animation repérés au Cartoon Movie 2024

Rendez-vous incontournable des professionnels du cinéma d’animation, qui y trouvent financement, coproducteurs ou diffuseurs internationaux, le forum européen « Cartoon Movie » permet chaque année de prendre la température de la production animée de longs métrages, à travers les thématiques, les orientations et les ambitions des projets proposés. Bien sûr, c’est l’occasion de voir le degré d’avancement de certains films attendus et de découvrir les nouveaux projets de réalisateurs confirmés (de Jérémie Périn pour Mars express à Sébastien Laudenbach et Chiara Malta pour Linda veut du poulet l’an dernier, les plus grands y passent). 

C’est surtout une opportunité précieuse de repérer en amont les films moins identifiés qui arriveront sur nos écrans dans les année à venir. En 2018, nous avions eu un coup de coeur pour un projet alors intitulé White Plastic sky, qui nous avait fait forte impression par sa dimension dystopique (un futur dans lequel les sols ne sont plus fertiles) et romanesque (la course contre la montre d’un homme qui veut empêcher sa femme de se transformer en arbre). Le film, signé par le duo hongrois Tibor Banoczki et Sarolta Szabo, sort dans quelques semaines sur les écrans, renommé Sky Dome 2123, après un passage remarqué à Berlin et Annecy, et surpasse nos attentes par sa beauté formelle et sa puissance narrative. Un exemple parmi d’autres des longs métrages rendus possibles par leur passage à Cartoon.

On attendait donc de découvrir lors de cette nouvelle édition les futurs grands chocs de demain. Et, malgré une impression de mi-teinte (peu de coups de coeur, des projets convoquant souvent les mêmes thématiques, ou jouant sur le même type de ressorts dramatiques), ce fut le cas, avec des propositions atypiques et ambitieuses qui dessinent les contours d’une animation contemporaine cherchant à sortir des cadres. 

Ainsi le film portugais Dom Fradique, signé par le réalisateur José Cavalheiro (connu sous le nom de Zepe), récit d’aventures, d’humour et d’amitié qui aborde la question de l’épuisement des ressources naturelles et de l’action militante. Dans une cité minière peuplée par des oiseaux qui ont oublié comment voler, deux chats musiciens – alors que c’est interdit – tentent de sortir la population de sa torpeur. Ils veulent mettre les habitants en garde contre l’usine de traitement de minerai précieux qui pollue la rivière et l’atmosphère. L’un des deux héros décide de rejoindre un mouvement de résistance insurrectionnelle tandis que l’autre part en quête de réponses dans la forêt avoisinante. Le projet se présente comme un conte inspiré de la réalité (et notamment la révolution des œillets auquel le réalisateur a pris part) qui met en scène deux visions (l’activisme contre la recherche d’une solution magique ou fantastique) correspondant à deux facettes de l’histoire : ceux qui sont restés pour lutter de l’intérieur et ceux qui sont partis en espérant trouver des solutions extérieures. Au service de cette intrigue très politique, le réalisateur propose un trait relativement simple, avec de larges aplats de couleurs et une esthétique stylisée laissant la place à l’improvisation. 

Dans un style graphique relativement plus classique, Joachim Hérissé (Ecorchée) et Marion Bulot proposent Le Caillou, dont le point de départ n’est pas sans rappeler le film Un jour sans fin. Le petit Timéo, qui a peur de tout, va en effet revivre la même journée à l’infini, grâce à une pierre magique que lui a donnée sa grand mère. Mais là où chez Harold Ramis, l’objectif du personnage principal était justement de réussir à sortir de cette journée pour reprendre le cours de sa vie, dans ce projet, il s’agit au contraire de trouver le courage de sortir du confort de cette journée rassurante pour affronter l’inconnu de l’existence. Le récit est lui aussi en partie autobiographique, puisqu’enfant, le réalisateur, très anxieux, avait pour habitude de tenir les moments difficiles à l’écart en cachant des petits cailloux partout autour de lui. À noter que la bande dessinée du film sortira chez Dargaud le 31 mai.

Enfin, Ogresse coécrit par la chanteuse jazz Cécile McLorin Salvant et la réalisatrice Lia Bertels (Nuit chérie) s’est aussi clairement distingué par sa singularité. Ce musical pour tous les publics, qui joue avec les codes du conte de fées, met en scène une petite fille qui, après s’être réfugiée dans la forêt, devient une femme très grande qui effraie les villageois alentours. Refusant de se laisser capturer, elle dévore tous ceux qui essayent de l’approcher… jusqu’à ce qu’un jour, un homme plus rusé que les autres, décide plutôt de la séduire… Avec sa large palette de couleurs, son design très simple et l’atout d’une bande originale de toute beauté, le projet est déjà sur de très bons rails, et tranche brillamment avec les innombrables contes initiatiques « familiaux » qui étaient présentés cette année.

Parmi les films terminés et dont on attend très prochainement la sortie, il semblait y avoir moins de choix que les années précédentes : quatre propositions seulement, dont un film déjà sorti en France, Le royaume de Kensuke de Neil Boyle et Kirk Hendry. On est tout de même curieux de découvrir La vie en gros de Kristina Dufkovà, adapté (en volume et animation 2D) du roman du même nom de Mikaël Ollivier. L’histoire de Ben, 12 ans, qui adore cuisiner, mais commence à souffrir des moqueries sur son embonpoint et décide de suivre un régime drastique. Un film que l’on retrouvera vraisemblablement à Annecy… et peut-être d’ici là à Cannes, qui sait ?

Comme chaque année, on a également pu prendre connaissance pendant le Cartoon de projets au stade du concept, dont il est parfois trop tôt pour savoir s’ils réussiront à se faire. Parmi ceux-ci, Rose et les marmottes, un nouveau long métrage signé Alain Ughetto, son 3e après Jasmine et Interdit aux chiens et aux Italiens, qui raconte l’histoire de Rose, 12 ans, qui, au début du XXe siècle, propose un spectacle de rue avec des marmottes afin de survivre. Il s’agit d’une comédie sur fond de révolution industrielle, qui s’inspire à la fois de témoignages et d’images d’archives d’époque. Petite surprise, le film ne sera pas réalisé entièrement en volume comme ses précédents, mais dans une technique de 3D « travaillée à la façon de la stop-motion« .

Autres concepts à suivre : Le jour où Ewan McGregor m’a présenté à ses parents de Marta Puig, qui adapte en comédie musicale son propre roman graphique sur l’infertilité et les parcours médicaux pour la traiter ; La ligne de Philippe Rolland sur Jean Mermoz et les grandes heures de l’Aéropostale ; Dark horses, une anthologie en cinq chapitres d’histoires mettant en scène des chevaux ; ou encore Dr Howl de Joanna Jasinska-Koronkiewiecz, un film noir dans lequel une femme alcoolique et un vétérinaire réincarné en chien mènent l’enquête sur un important trafic d’animaux…

On parle là de projets à (plutôt) long terme… Et dans l’immédiat ? Présenté au Cartoon en production, Dans la forêt sombre et mystérieuse d’Alexis Ducord (Zombillenium) et Vincent Paronnaud (Persépolis, Poulet au prunes, La mort père et fils…) est déjà annoncé pour le 23 octobre. Avec un passage dans un grand festival entre temps ? Son histoire, celle d’un enfant qui rêve d’une grande aventure et a l’occasion de partir en quête de la source de vie après que ses parents l’aient oublié sur une aire d’autoroute, n’en fait a priori pas un candidat de premier plan pour les sections cannoises, mais il pourrait être présent à Cannes junior – ou au cinéma de la plage.

D’autres films, parfois présentés lors des éditions précédentes, pourraient eux se hisser dans l’une ou l’autre des compétitions. On pense notamment à La plus précieuse des marchandises, le premier long métrage d’animation de Michel Hazanavicius, adapté du roman de Jean-Claude Grumberg, qui se déroule pendant la seconde guerre mondiale, et a pour cadre la Shoah. Passé à l’animation, le réalisateur de The artist et Le Redoutable aura-t-il à nouveau les honneurs de la compétition ?

Claude Barras avait fait sensation à la Quinzaine des Réalisateurs en 2016 avec Ma vie de courgette. Il est de retour avec Sauvages ! (présenté au cartoon en 2019) qui raconte l’amitié d’une fillette et d’un orang-outang qu’elle veut sauver des braconniers sévissant au coeur de la forêt primaire de Bornéo. Un film engagé qui pourrait trouver sa place dans n’importe laquelle des sections cannoises.

Memoir of a snail est le deuxième long métrage animé du réalisateur australien Adam Elliott à qui l’on doit le merveilleux Mary and Max. À nouveau réalisé en volume, il suit le destin d’une jeune fille solitaire qui se retrouve séparée de son frère jumeau. Un film qu’on aimerait très fort découvrir sur la croisette… ou au plus tard au bord du lac à Annecy !

Enfin, Flow de Gints Zilbalodis (le réalisateur letton qui avait ébloui le monde entier avec son premier long métrage autoproduit Away) s’annonce comme l’une des sensations de 2024. Présenté en work-in-progress à plusieurs reprises (au Cartoon, mais aussi à Annecy et au Carrefour de l’animation), il est attendu comme une nouvelle expérience hypnotique et sensorielle. Cette fois, le cinéaste nous emmène dans un territoire envahi par les eaux, dans lequel un chat essaye désespérément de survivre en s’alliant contre son gré avec d’autres animaux…