La plateforme la plus populaire du monde fête ses dix ans. Si elle est avant tout connue et regardée pour ses séries venues du monde entier, et si elle se diversifie avec du sport, des jeux et de la télé-réalité, elle a été régulièrement brocardée pour une cinéphilie en apparence faiblarde.
Pourtant, sur Netflix, on trouve de tout, du catalogue auteur de MK2 aux blockbusters aux scénarios prévisibles et insipides, des classiques du cinéma hollywoodien post eighties aux documentaires événements, des rom-coms aux films historiques.
Cependant, de toute cette profusion d’images, il en sort quelques pépites produites par Netflix. Certes, ces derniers mois, l’ambition artistique est moindre, préférant son rôle de diffuseur à celui de producteur, mais au cours de ces dix ans, dans des genres très variés, le streamer a su nous faire « chiller » avec de très beaux films.
En voici douze.
Marriage Story de Noah Baumbach
« Ce lent et long film parvient à nous fasciner par sa capacité à nous intégrer dans ce méli-mélodrame familial, ponctué d’une offensive pour la garde du fils, d’une guerre d’égos ou d’une confrontation narcissique, au rythme de rebondissements professionnels, juridiques, sentimentaux. On souffre pour elle, qui cherche à renaître. On souffre pour lui, abandonné comme un malpropre.«
Le cercle des neiges de Juan Antonio Bayona
« Le film prend alors sa tonalité psychologique et existentialiste. Cet aspect est presque plus saisissant que l’accident. Huis-clos à ciel ouvert, la tragédie repousse les limites de l’impensable. Ces victimes sont meurtries d’avoir perdu leurs proches et abandonnés à leur sort. D’autant qu’une avalanche (impressionnante) va en tuer huit d’entre eux par la suite. Un véritable calvaire physique, psychologique, traumatique. Entre leur foi et leur instinct, les cas de conscience vont compliquer leur quotidien.«
The Power of the Dog de Jane Campion
« Jane Campion recadre sans cesse son récit pour nous mettre à la place des protagonistes, qui se replient souvent sur eux-mêmes de peur d’être en contact avec « l’ennemi ». Faisant évoluer notre ressenti sur chacun d’entre eux, elle atténue subtilement tous les préjugés que l’on porte sur eux. Jusqu’à nous surprendre avec un jeu de faux-semblants et une mécanique fatale et calculée qui va retourner la situation dans le dernier acte. (…) La maîtrise du scénario et de la mise en scène produisent l’effet escompté : le brillant portrait d’hommes et de femmes complexes, pétris de contradictions, dont aucun ne sort réellement indemme…«
Roma d’Alfonso Cuaron
« Virtuose et splendide, ce récit s’avère pourtant intime, où, une fois de plus chez Cuaron la figure de la mère prédomine et expose un peu plus la vulnérabilité masculine. Roma séduit sur la forme et parvient à nous happer sur le fond. Cette chronique familiale est aussi aliénante (la routine de la domestique et sa transparence révèle tout le mépris de classe et l’inhumanité de ses employeurs) que trépidante (l’Histoire se mêle à l’histoire et ça fout un joli chaos).«
Chicken Run: Dawn of the Nugget de Sam Fell
« Ce mélange de bric et de broc fait tout le charme d’une réalisation soignée, peut-être un peu trop lisse, mais épatante de bout en bout. La fluidité de la mise en scène de Sam Fell, l’invisibilité du stop motion et la mise au carré du scénario font de Chicken Run : La menace Nuggets un film d’animation grand public de haute voltige, avec la bonne dose de suspense pour nous laisser happer dans cette hallucination absurde.«
Mank de David Fincher
« Un hommage vibrant au Hollywood des années 1930. Le noir et blanc magnifiquement texturé, signé par Erik Messerschmidt, évoque avec une élégance nostalgique l’âge d’or du cinéma, tandis que chaque plan semble une peinture soigneusement composée, empreinte d’une mélancolie palpable, où la beauté visuelle rencontre une réflexion profonde sur le pouvoir, l’ambition et l’illusion.«
La sagesse de la pieuvre de Craig Foster
« Documentaire poignant qui transcende l’observation scientifique pour devenir une méditation sur la connexion entre l’humain et la nature, ce récit intime et rempli d’émotions se dépasse en mêlant l’hypersensibilité d’un homme en phase de résilience et d’un animal vulnérable et fascinant. Cette alchimie, combinée à des images sublimes de fonds marins, démontre avec évidence l’harmonie du vivant et souligne l’interconnection possible entre les espèces. »
The Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal
« Olivia Colman réussit un alliage audacieux entre les complexités de la maternité et les émotions conflictuelles qui l’accompagnent. Son exceptionnelle performance toute en nuances ne doit pas masquer la mise en scène de Maggie Gyllenhaal, à la fois subtile et poétique, peuplée de silences et de gestes chargés de sens. Transgressif sans être outrancier, intimiste sans être dépressif, troublant sans être maniéré, ce film nous emmène dans les recoins les plus sombres de l’âme humaine, en laissant toujours ce qu’il faut de lumière pour nous consoler.«
Don’t Look Up de Adam McKay
« Le film est une loupe grossissante sur l’absurdité de notre époque. Avec de gros stabilo-boss, le cinéaste surligne tout ce qu’il dénonce : l’obscurantisme, l’ignorance, le divertissement creux, la cupidité… C’est la liste des sept péchés capitaux, avec ses ambassadeurs : une présidente américaine trumpienne et clintonienne (en même temps), son conseiller de fils coké et anti-woke, un patron orwellien entre Musk et Zuckerberg, deux présentateurs de talk-shows blasés et vaniteux qui dictent les lois de l’information, des artistes du show-biz autocentrés, ignares et porteurs d’une bonne conscience hypocrite ou vaine.«
Uncut Gems de Josh et Benny Safdie
« Le film prend sa force dans l’écriture de ces multiples personnages, dont la caméra capte chacune des nuances et tous leurs doutes en gros plan. Mais il prend surtout son intensité par sa capacité à nous entraîner dans cette débandade débridée et furieuse de cet homme qui passe à côté de sa vie à cause de son ego et de son avidité. Si le film est éminemment moral, les frères Safdie n’en font rien de didactique. »
Les sept de Chicago d’Aaron Sorkin
« La virtuosité du scénario de Sorkin, avec ses dialogues incisifs, ses moments d’émotion et son rythme captivant, et les performances remarquable sdes comédiens apportent à cette histoire vraie une belle humanité et un regard précis sur l’époque. Beau et profond plaidoyer pour la justice, on peut se désoler qu’il est autant de résonnance encore aujourd’hui.«
La main de Dieu de Paolo Sorrentino
« La Main de Dieu nous fait ainsi passer du rires au larmes, des pincements au cœur aux estomacs serrés, du divertissement (au sens noble du terme) à la beauté contemplative, sans que ce ne soit jamais bancal. Il est porté par une vitalité où tout se mélange, les joies et les peines, les bonheurs et les malheurs. Le film court à toute à allure, en maintenant son souffle, inspiré et inspirant, expiant les traumas et respirant la dolce vita. »