Les LGBTQ+ fragilisés aussi sur les écrans ?

Les LGBTQ+ fragilisés aussi sur les écrans ?

Pink Screens à Bruxelles s’est terminé le 18 novembre. Chéries Chéris à Paris s’achève le 25 novembre. Les deux principaux festivals LGBTQ+ francophones européens ont proposé une programmation aussi variée que prolifique, incluant courts métrages et documentaires. Des événements complémentaires aux plus grands festivals qui ont intégré des récits LGBTQ+ dans leurs sélections officielles, en plus de prix parallèles dédiés au cinéma queer (Teddy à Berlin, Queer Palm à Cannes, Queer Lion à Venise).

En salles, des films comme La petite dernière, qui approche des 400 000 spectateurs, Des preuves d’amour, Egoist, ou Queerpanorama (en salles le 26 novembre) ont mis en avant des histoires proprement LGBTQ+, quand d’autres, tels La femme la plus riche du monde (bientôt 800 000 spectateurs), Le rire et le couteau, Alpha ou la trilogie d’Oslo ont mis en lumière des personnages et sexualités queers au cœur de leur récit.

Pourtant tout n’est vraiment pas rose. Dans « Quotidien » (TMC), jeudi 20 novembre, Camille Cottin et le réalisateur Nathan Ambrosioni faisaient la promotion de leur film, Les enfants vont bien (en salles le 3 décembre). L’actrice incarne une femme lesbienne. Ce n’est pas le sujet du film, et en aucun cas cela n’apparaît comme un enjeu. Pourtant, le cinéaste a confié que la sexualité du personnage avait interpellé différents financeurs. Manière de souligner leur réserve sur cet aspect là, voire, sans oser le dire, de pointer un risque pour les futures recettes du film. On en est encore là? Opposons leur une réalité : quelques 20 000 foyers homoparentaux en France, plus de 3500 lesbiennes qui se marient chaque année…

Paradoxal système

Mais, oui, on en est toujours là. La visibilité dérange. La représentation des personnes LGBTQ+ au cinéma et dans les séries donne une impression paradoxale. Jamais les récits queer n’ont été aussi nombreux et géographiquement variés. Et pourtant, si l’on en croit le récent rapport de GLAAD, « Where We Are on TV », du côté des séries américaines, une grande partie de ces personnages est en sursis. De même, sous la pression des ultraconservateurs, les studios, accusés de « wokisme », font machine arrière et enlèvent des pans entiers de la diversité de leur scénario. Quand ce n’est pas l’IA en Chine qui efface un couple homosexuel pour le transformer en couple hétérosexuel.

Le rapport de GLAAD, qui scrute la saison 2024-2025 sur les grandes chaînes américaines, le câble et les plateformes, dresse un constat double : la visibilité est encore forte, mais la tendance à court terme inquiète.

Heartstopper, saison 3 sur Netflix

On compte aujourd’hui près de 500 personnages LGBTQ+ réguliers ou récurrents dans les fictions de prime time. Ce chiffre reste élevé, même s’il est inférieur au record atteint il y a quelques années. Surtout, un élément fait tache : une part importante de ces personnages ne reviendra pas à l’écran la saison suivante, du fait des fins de séries, des annulations ou d’incertitudes de renouvellement. Autrement dit, l’instantané 2025 est encore riche, mais la courbe qui se dessine derrière est à la baisse.

La dynamique est très différente selon les supports. Les plateformes de streaming concentrent désormais la majorité des personnages queer, et n’hésitent pas à les valoriser, conscients que le segment marketing est rentable. En revanche, les grandes chaînes historiques, soumises à la pression du pouvoir trumpiste qui menace en permanence leur autorisation d’émettre, stagnent : la part de personnages LGBTQ+ y reste limitée, souvent cantonnée à quelques figures bien identifiées. Le câble continue à jouer un rôle important, mais là encore la visibilité se concentre sur quelques séries phares, très exposées médiatiquement mais peu nombreuses.

Boots, saison 1 sur Netflix

Diversité davantage diversifiée

Sur le papier, la diversité intra-LGBTQ progresse. Les personnages racisés représentent une part importante de la représentation queer, et l’on voit davantage de rôles trans, non-binaires ou issus de minorités religieuses ou culturelles. Mais cette variété est de façade. Les personnages trans, en particulier, restent peu nombreux et très exposés aux aléas de programmation : quand une série s’arrête, c’est parfois tout un pan de représentation qui disparaît d’un coup. Même chose pour la bisexualité, largement sous-représentée au regard de son poids réel dans la société.

Narrativement, plusieurs tendances se confirment. Les séries adolescentes et les récits de coming-of-age queer restent une valeur sûre, aux côtés des comédies dramatiques sur la vie de couple ou de famille. Mais on voit aussi monter en puissance des genres longtemps considérés comme périphériques : l’horreur queer, le thriller psychologique, la fantasy et l’animation très queer-friendly, qui permettent de parler de dysphorie, de violence systémique, de traumatisme ou de désir de façon plus métaphorique, parfois plus radicale.

Dans un contexte de backlash politique et médiatique contre les droits LGBTQ+ dans plusieurs pays, y compris les Etats-Unis, la présence de personnages queer nuancés, récurrents, attachants, joue un rôle concret dans la perception du public, d’autant que les jeunes générations s’identifient de plus en plus comme LGBTQ+. Là encore, il y a un constat : en France, 19 % des femmes et 8 % des hommes ne se définissent pas comme hétérosexuels. 37 % des femmes et 18 % des hommes disent avoir été attirés par les deux sexes. Les sociologues parlent clairement « d’ébranlement de la norme hétéro« , surtout chez les jeunes femmes, et d’un rapport au désir plus fluide, moins cadré par les catégories classiques « homo / hétéro ».

En toile de fond, on peut donc affirmer que ces représentations ne sont pas un simple « bonus » esthétique ou divertissant, mais un souci de refléter de nouvelles réalités. Le temps de La cage aux folles est fini. En cela, notons que certaines séries ont bien su capter l’air du temps – et avec succès – tels Elite, Young Royals, Heartsopper, Euphoria, Sense8, Pose, Love Victor, Orange is the new Black…).

Une internationale queer

Du côté du cinéma, les recensements de films LGBTQ+ sortis en 2024 et 2025 montrent un flux stable – voire croissant – de productions queer. La fiction queer ne se limite plus à quelques bastions traditionnels (États-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, Espagne). Désormais les œuvres viennent d’Asie, d’Amérique latine, d’Europe de l’Est, du Moyen-Orient, souvent via des co-productions. Et ça a donné de très beaux films récents, souvent invités dans les grands festivals, comme Le Mystérieux Regard du flamant rose (Chili), En el camino (Mexique), Viêt and Nam (Vietnam), Un fantôme utile (Thaïlande), Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde (Roumanie), Manok (Corée du sud), Night Stage et Baby (Brésil), Entre deux eaux (Croatie), Little Trouble Girls (Slovénie), Cactus Pears (Inde), Le Bleu du caftan et Cabo negro (Maroc), Queer as Punk (Malaysie) sans oublier le film d’animation Lesbian Space Princess (Australie).

Le Mystérieux Regard du flamant rose

Si les grands festivals offrent une visibilité mainstream aux films queers, il est primordial que des festivals dédiés puissent continuer à servir de laboratoires politiques et esthétiques. À Bruxelles, Pink Screens assume une ligne résolument radicale : exploration des sexualités, formes expérimentales, films trans, non-binaires, intersexes, récits de travail du sexe, de migration, de pauvreté, de handicap. À Paris, Chéries-Chéris, festival du film LGBTQ+, s’ancre comme un rendez-vous majeur du calendrier cinématographique queer, même s’il est parfois menacé par certains subventionneurs. Leurs films, souvent déjà repérés à l’international, en font un relais de visibilité et un lieu de cristallisation des débats contemporains, limités malheureusement par leur faible exposition et la surprésence d’un public acquis.

Et si 2025 ressemble à une année de bascule, les productions continuent d’ouvrir de nouveaux territoires, de nouvelles formes et de nouveaux récits. Les histoires queer n’ont jamais été aussi nombreuses ni aussi variées, mais leur place n’est pas garantie. Entre backlash politique, contraintes économiques et concentration des contenus, la bataille de l’imaginaire se joue autant dans les chiffres de la représentation que dans les lieux où ces œuvres sont montrées, défendues, célébrées.

Lesbian Space Princess

Or, cette année, contrairement aux fans de séries (The Last of Us, Olympo, Boots, The Buccaneers…), les spectateurs de cinéma n’ont pas plébiscité de films où des personnages / récits LGBTQ+ étaient en vedette. L’hétéronormalisation reste dominante dans la fiction populaire. Parmi les trente plus gros succès de l’année (à date), que ce soit en France ou aux Etats-Unis, on ne compte aucun film où la présence queer est identifiée ou clairement signalée. Désintérêt du public, des producteurs, des réalisateurs et scénaristes? Imaginaire rouillé ou contraint?

La curiosité est une belle qualité

Pourtant avec Enzo (sorti en juin), Love me tender (en salles le 10 décembre) ou l’excellent Pillion (le 10 avril 2026), on constate que le cinéma peut s’approprier respectivement un coming-of-age, un drame intime ou une rom-com bdsm avec talent.

Et il est permis d’espérer : les programmations 2025 de Chéries-Chéris comme de Pink Screens confirment un cinéma queer à la fois pleinement mondialisé et résolument politique. Les films articulent sexualité, genre et émancipation à des enjeux de migration, de frontières, d’exil et de diasporas. Ce sont des récits de familles choisies, de parentalités inédites, de vieillesse queer et de transmission intergénérationnelle, tout en assumant une forte dimension de mémoire des luttes et d’archives militantes. Esthétiquement, une partie notable de ces sélections revendique un cinéma “queer & cheap” – DIY, punk, camp, volontiers hybride entre fiction, documentaire et expérimental – qui oppose à la normalisation industrielle une inventivité formelle et une énergie joyeusement indocile.

De quoi compenser l’absence cette année de films aussi marquants d’un point de vue cinéphile et sociétal que La vie d’Adèle, 120 battements par minute, Carol, Pride, L’inconnu du lac, Moonlight, Call me By Your Name, Portrait de la jeune fille en feu, Flee ou même Emilia Perez.

De quoi aussi rester curieux, y compris si on est hétérosexuel.