Au Festival Les Œillades, les actrices ont le premier rôle

Au Festival Les Œillades, les actrices ont le premier rôle

La 23e édition du festival albigeois, Les Œillades, proposait une multitude de films francophones, parmi lesquels des films déjà sortis en salles. Les spectateurs pouvaient ainsi découvrir les belles performances d’Ella Rumpf dans Le théorême de Marguerite, Louise Mauroy-Panzani dans Ama Gloria, Yolande Moreau dans La fiancée du poète, Suzanne Jouanet et Maud Wyler dans La voie royale, les comédiennes des Filles d’Olfa, Céline Sallette dans Les Algues vertes, Claire Pommet aka Pomme dans La Vénus d’argent, Lucie Debay dans Le syndrome des amours passées, et bien sûr Linda (qui veut toujours du poulet), …

Parmi les avant-premières, Mélanie Thierry (Captives), Emmanuelle Devos (Un silence), Agnès Jaoui (La vie de ma mère), ou le casting du dernier Mandico (Conann) confirment que les films du moment mettent surtout des personnages féminins en tête d’affiche.

Sept interprétations, dans six avant-premières, ont retenu notre attention. Avec elles, Les Œillades ont mis en lumière une professeure menacée, une passeuse de réfugiés, une star dessinée révoltée, une médecin anti-conformiste, une Reine éclairée. Soit des femmes puissantes et émancipées dans des contextes et des environnements contraints sinon oppressants.

Lubna Azabal dans Amal

Prix du public au festival Les Œillades, Amal, le film belge de Jawad Rhalib n’a pas encore de distributeur en France. Il faut dire que le sujet est hypersensible : une élève est harcelée au lycée et sur les réseaux sociaux parce qu’elle serait homosexuelle. Dans une classe où certains de ses camarades font passer la religion au premier plan de leur apprentissage, une professeure cherche à ouvrir les esprits des éléments perturbateurs, en vain. La spirale infernale va entraîner le système éducatif, une communauté et deux femmes dans un processus violent et fatal.

Evidemment ce film coup de poing (jusqu’à l’ultime plan, glaçant) fait écho à de nombreuses actualités récentes, notamment en France. Quel distributeur, quelles salles de cinéma risqueraient à diffuser un tel drame ? C’est regrettable car Jawad Rhalib traite subtilement toutes les nuances de son propos, même dans les conflits les plus brutaux ou les dialogues s’avérant tant sourds que stériles.

Un film d’utilité publique, qu’on soit du côté des uns ou des autres, pour le débat et la réflexion. Mais s’il fonctionne aussi bien, sans aller dans le sensationnalisme ni la naïveté ou le manichéisme, c’est en grande partie grâce à l’interprétation de son actrice principale, Lubna Azabal (Incendies, Le bleu du Caftan), décidément parmi les meilleures comédiennes de notre époque. Son visage, son corps et sa voix traduisent à la perfection sa colère, sa foi, sa lassitude, sa détermination et sa peur. Toutes légitimes. Sauf pour quelques uns.

Jasmine Trinca et Leïla Bekhti dans La nouvelle femme

Tout comme Jawal Rhalib, Léa Todorov vient du documentaire. Et tout comme le réalisateur d’Amal, elle puise dans ce registre pour amener du réalisme social dans sa fiction. La nouvelle femme est le portrait de Maria Montessori, femme médecin italienne au début du XXe siècle, dans un pays machiste et écrasé par le patriarcat. En développant une méthode d’apprentissage adaptée à des enfants qu’on qualifie de « déficients » (sous prétexte d’un quelconque handicap), elle va poser les bases de la fameuse école qui porte aujourd’hui son nom. La fiction est apportée par le personnage de Lili d’Alengy, courtisane et mondaine parisienne, et mère honteuse d’une enfant handicapée.

C’est la très belle idée du film : réunir deux actrices aux parcours et aux tempéraments opposés. Côté face, l’italienne Jasmine Trinca (La chambre du fils, Romanzo criminale, Saint Laurent), primée à Cannes pour Fortunata en 2017 et honorée à Villerupt ce mois-ci. Avec ce personnage avant-gardiste, féministe, en proie à de nombreux dilemmes, elle compose un rôle aussi chaleureux qu’obstiné, résilient que non résigné.

Côté pile, la française Leïla Bekhti, trois fois nommée aux César en plus d’un César du meilleur espoir féminin il y a douze ans, et qui a su passer de Jacques Audiard à Joachim Lafosse, de Cédric Kahn à son amie Géraldine Nakache, de Radu Mihaileanu à Jeanne Herry. La voici superficielle et ambitieuse, en mère peu maternelle et égocentrique. En installant tranquillement la sororité entre les deux femmes, la réalisatrice montre également que le pouvoir n’est pas qu’une affaire d’hommes et qu’il se conquiert même sans eux.

Ad Vitam sortira le film le 13 mars 2024.

Fanny Ardant dans Les rois de la piste

On ne présente plus Fanny Ardant. Elle était deux fois à l’affiche au Festival, avec Ma France à moi de Benoît Cohen, et Les rois de la piste, de Thierry Klifa, qui signe sa première comédie burlesque. Fanny Ardant a toujours excellé dans le comique : on se souvient de sa performance césarisée dans Pédale douce, mais aussi de ses personnages inoubliables dans Ridicule, Huit femmes, ou, au théâtre, dans Croque-Monsieur (il fallait oser endosser le costume de Jacqueline Maillan), mis en scène par… Thierry Klifa.

Ici, elle incarne une mère pas comme les autres. D’origine russe, elle est possessive avec ses deux fils (Mathieu Kassovitz, Nicolas Duvauchelle) et son petit-fils (Ben Attal). Une Ma Dalton dont les plans ne sont pas tout à fait bien ficelés et qui ne se résout pas à vivre une existence convenue. Le cinéaste réussit le tour de force de nous faire aimer ces pieds-nickelés ultra névrosés et de tout pardonner à cette matriarche incorrecte. On continuerait bien l’aventure avec eux, d’autant qu’on regrette un peu, dans l’épilogue, que le chat et le petit ami de Duvauchelle soient laissés en plan au fin fond du Cotentin. Ardant fait des étincelles et embarque spectateurs et sa smala de mecs dans son tourbillon d’engueulades, de réconciliations et de surprises (bonnes et mauvaises).

Cette affaire de famille, belle association de malfaiteurs, avec en contrepoint la sérieuse Laetitia Dosch qui tire aisément son épingle du jeu, sortira en salles le 27 mars avec Apollo films.

Florence Loiret-Caille dans La tête froide

Sans aucun doute, l’une des comédiennes de sa génération les plus sous-employée par le cinéma français. Pourtant Florence Loiret-Caille le prouve une fois de plus : elle sait s’emparer d’un rôle exigeant (physiquement comme émotionnellement). Nombreux sont ceux qui la connaissent avec la série Le bureau des légendes. Mais l’actrice a tourné pour Benoît Jacquot, Michael Haneke, Claire Denis, Guillaume Nicloux, Xavier Giannoli, les frères Larrieu, Agnès Jaoui, Jérôme Bonnell, Solveig Anspach, etc. Excusez du peu. Elle est actuellement à l’affiche du Syndrome des amours passés.

Stéphane Marchetti, documentariste-reporter primé, auteur de bande dessinées d’actualité, passe pour la première fois à la fiction. Tout le film s’en ressent tant le récit est documenté autour de cette épopée humaine. Florence Loiret-Caille incarne une femme qui a souvent fait de mauvais choix de vie et de mecs. Elle en est réduite à vivre dans une caravane dans la région de Briançons, dans les Alpes du sud. Précaire, elle survit avec un trafic de cigarettes, achetées à bas prix en Italie et revendues à des clients du bar où elle travaille. Elle dispose d’un « complice » pour ne pas se faire prendre à la frontière : son compagnon, policier.

Mais La tête froide n’est pas un drame social ordinaire. Un soir, au col de l’Echelle, elle tombe nez à nez avec un migrant guinéen. Ensemble, ils vont s’unir pour sortir la tête de l’eau. Elle pour payer ses factures et ses dettes. Lui pour rejoindre le Royaume-Uni. Ils vont ainsi contribuer à faire passer des groupes de migrants d’Italie vers la France, contre des paquets de cash. Mais devenir passeur, outre l’illégalité, peut conduire au cauchemar.

Epuré, froid, efficace. Le film ne manque pourtant ni de sensibilité ni d’humanité. Quelques mois après Les survivants, La tête froide se focalise aussi sur les dangers de la traversée des Alpes, à travers un citoyen indifférent au sort des migrants, avant qu’il ou elle ne bascule dans une solidarité périlleuse. Florence Loiret-Caille épouse parfaitement toutes les émotions (et les absences d’émotion) de son personnage fragile et combattif.

UFO sort le film le 17 janvier 2024 en France.

Juliette Armanet dans Léo, la fabuleuse histoire de Léonard de Vinci

En version anglophone et francophone, Marion Cotillard double Louise de Savoie. Mais pour l’héroïne de ce film d’animation de Jim Capobianco (scénariste de Ratatouille) et Pierre-Luc Granjon, Marguerite de Navarre est doublée en anglais par Daisy Ridley (Star Wars) et en français par la chanteuse-compositrice-autrice Juliette Armanet. Les derniers jours de Léo pourrait-on tenter de résumer le film puisque l’histoire s’attache à raconter comment et pourquoi De Vinci s’est exilé en France sous le haut patronnage du roi François 1er.

Petit rappel historique : Marguerite de Navarre, alias Marguerite de Valois-Angoulême, alias la Perle des Valois, était la sœur du roi et exerçait une certaine influence en diplomatie en plus d’être très ouverte aux idées nouvelles et à de protéger les artistes à la Cour de France. Elle était aussi écrivaine.

Autant dire que son personnage est très moderne pour l’époque. Juliette Armanet, dont le frère est lui-même réalisateur, a déjà fait de la figuration dans quelques films (chez Jeunet, Betbeder, Fiennes) avant d’obtenir deux rôles plus conséquents dans le court métrage Partir un jour (César en 2023) et le long métrage Rosalie (sélectionné Un certain Regard à Cannes cette année). Le rôle de Marguerite lui va comme un gant : une femme émancipée, curieuse, éclairée.

Ce film de marionnettes, réalisé en stop-motion, et ponctuée de très jolies scènes oniriques dessinées en 2D, a nécessité cinq ans de travail (pour un budget de 10 millions d’euros). Un court métrage, Leonardo, déjà réalisé par Jim Capobianco, était sorti en 2009. Présenté à Annecy, Léo, la fabuleuse histoire de Léonard de Vinci, sortira en France le 31 janvier grâce à KMBO.

Mafalda dans Mafalda, reviens!

Mais que vient faire le personnage iconique de Quino, décédé il y a trois ans, dans cette sélection? Figurez-vous que l’actrice et réalisatrice Lucia Sanchez (vue récemment dans Mon crime et Antoinette dans les Cévennes) a décidé de se pencher sur la petite fille de Buenos Aires.

Formellement, son documentaire est composé de micro-trottoirs, d’interviews (dans un décor sixties), de reportages et de dessins (des cases du strip, des Mafalda en street-art, des Mafalda animées…).

Dans le fonds, ce qui intéresse Lucia Sanchez, ce n’est pas tant l’histoire (passionnante) de cette gamine rêvant d’un monde meilleur, rebelle à l’autorité (et à la soupe), et pointant les absurdités d’un monde malade. Mafalda est une star mondiale de la BD. Le film nous le rappelle.

Ce qui interpelle la cinéaste est plus désespérant : Mafalda est toujours actuelle. Ses combats et ses causes perdurent soixante ans plus tard. Lucia Sanchez démontre implacablement à quel point les maximes et conclusions de la fillette peuvent s’appliquer à de nombreux sujets contemporains : violences policières, climat, féminisme, inégalités sociales, inflation des prix, etc…

Mafalda n’était pas une actrice. Mais incontestablement, elle est toujours une véritable héroïne. Regrettable qu’elle ait disparue au bout de dix ans de cases hilarantes et touchantes, surtout dans son pays, l’Argentine, qui vient d’élire un populiste libertarien autoritaire quelques jours avant la projection. Décidément, oui, on aimerait que Mafalda revienne…

Actes manqués

Parmi ces comédiennes brillantes, mentionnons Sophie Lorain dans Testament, dernier opus grinçant de Denys Arcand. Malheureusement, si l’actrice, multiprimée au Québec, est impeccable en fonctionnaire dépassée par la pression d’une ministre lâche et de protestataires « wokistes », le film est tellement ringard cinématographiquement qu’il ne sauve même pas le propos largement réactionnaire. Testament dénonce aveuglément plus qu’ironiquement son époque, sans jamais chercher à faire le lien entre vieux nostalgiques du monde d’avant et jeunes colériques anti-boomers.

De même, on passera sur Double foyer, de Claire Vassé. Chronique douce-amère et musicale sur un couple pas comme les autres (mais qui finalement devient tristement banal), le film fait écho à ceux de Christophe Honoré. Excepté qu’ici, rien ne fonctionne vraiment tant les atermoiements de son héroïne en deviennent incompréhensibles dans un scénario bien trop mince pour nous emballer. Et ce n’est pas de la faute d’Emilie Dequenne, splendide dans le bonheur comme dans son malheur. Qu’elle soit amoureuse ou incosolable, elle parvient miraculeusement à nous accrocher à cette histoire très fade, dont le dernier tiers brouillon nous laisse indifférent à son destin.