Cannes 2024 | La Pampa / Julie se tait : quand le poids du secret étouffe la jeunesse

Cannes 2024 | La Pampa / Julie se tait : quand le poids du secret étouffe la jeunesse

Ce qui guide la sélection de la Semaine de la Critique à Cannes pourrait s’apparenter à ‘un souffle d’air frais’. De fait, dans La Pampa tout comme dans Julie se tait, deux films de la sélection parallèle cannoise de l’an dernier, il y a une recherche d’un appel d’air. Le jeune Jojo dans le monde d’un championnat de moto-cross dans La Pampa tout comme la jeune Julie dans celui du tennis en compétition dans Julie se tait font face à une même impossibilité de parler : lui voudrait dire mais autour de lui les autres ne sont pas prêt à entendre; elle ne voudrait pas dire quand autour d’elle les autres commencent à écouter.

Willy et Jojo sont amis d’enfance et ne se quittent jamais. Pour tuer l’ennui ils s’entraînent à la Pampa, un terrain de motocross. Un soir, Willy découvre le secret de Jojo…

La Pampa est un premier film d’Antoine Chevrollier, qui se déroule dans le Maine-et-Loire. Comme d’autres premiers films français cannois l’an dernier, le lieu importe. Diamant brut d’Agathe Riedinger explore les environs de Fréjus, Le Royaume de Julien Colonna s’enracine dans la Corse de 1995, et Vingt Dieux de Louise Courvoisier se situe dans le Jura… Ces primo-cinéastes, auxquels on pourrait ajouter la camargue d’Animale d’Emma Bennestan, racontent des histoires dans des territoires de la France rarement filmés au cinéma, en tout cas de cette façon : en mettant en avant la jeunesse avec la révélation de nouveaux visages devant la caméra.

Le réalisateur Antoine Chevrollier n’est pas tout à fait inconnu. Il a déjà participé à plusieurs séries télé (Baron noir, Oussekine). Pour son premier film, il s’inspire un peu de son enfance : un endroit où les jeunes font de la moto-cross, un sport-jeu aussi dangereux qu’exaltant. Quand Willy (Sayyid el Alami) découvre le secret de son meilleur ami Jojo (Amaury Fouche), il ne faut donc pas que ça se sache. Il faut même qu’on le cache, surtout au père de Jojo (Damien Bonnard). Ensemble ils se préparent un peu pour passer le bac au lycée et beaucoup plus pour le championnat local de moto-cross avec un coach (Artus). Il faut se mesurer aux autres et se défier soi-même, en bref il faut devenir un ‘bonhomme’ avec tout ce que ça peut signifier de masculinité très affirmée, voire trop, et de virilité potentiellement toxique.

Dans cet environement, la sexualité de Jojo risque de faire exploser ses relations avec ses potes et avec ses parents. Il pourrait risquer l’exclusion de la compétition (et donc de ses ambitions), de sa bande et de sa famille. Pas sûr de pouvoir assumer toutes les réactions des uns et des autres.

Si l’amitié de Willy va lui rester acquise, la suspicion puis la révélation de cette vérité intime peut faire éclater tout son monde. La mise en scène immersive et la sensibilité qui se dégage de ces amitiés masculines, de la découverte de soi et des pressions sociales en milieu rural rappelle Vingt Dieux, cette fois-ci dans un registre autrement moins feel-good, mais tout aussi généreux. Certes, le film est un peu prévisible dans son développement narratif. On est davantage épaté par les performances plus que convaincantes des acteurs. Mais c’est avant tout la belle tension dramatique de La Pampa que l’on retient. Elle permet à son histoire de révéler le poids d’une émancipation empoisonnée, loin des clichés binaires et polarisés qu’on nous survend dans l’actualité.

Julie, une star montante du tennis évoluant dans un club prestigieux, consacre toute sa vie à son sport. Lorsque l’entraîneur qui pourrait la propulser vers les sommets est suspendu soudainement et qu’une enquête est ouverte, tous les joueurs du club sont encouragés à partager leur histoire. Mais Julie décide de garder le silence…

Un club de tennis, et des joueurs qui rêvent d’être parmi les meilleurs. Julie se prépare pour une sélection très importante : elle pourrait devenir une professionelle. Il faut s’entraîner pour le service, pour les déplacements sur le terrain, pour du renforcement musculaire, pour du mental, avec ce rêve, au final, d’être une championne.

Julie se tait débute au moment où tout le monde ne parle que d’une chose : l’entraîneur a été suspendu, sans qu’on sache vraiment pourquoi. Il y a bien cette rumeur… Les conséquences d’une tentative de suicide d’une jeune joueuse. L’entraîneur est licencié, et ne reviendra plus. Pour Julie (Tessa Van den Broeck), meilleur espoir du club, comme pour les autres, il faut continuer. Mais le mental est perturbé. Les responsables veulent écouter les témoignages des aspirants-champions. Julie, elle, n’a rien à dire, Julie continue de ne rien dire, et pourtant, parfois, cet ancien entraîneur lui téléphone même après son exclusion.

Julie se tait explore les mécanismes d’une emprise puissante entre un entraineur adulte et une jeune sportive adolescente, cette zone grise où un homme peut jouer à la fois un rôle de tuteur et celui de confident pour abuser de sa position à l’encontre de jeunes filles. Le film de Leonardo Van Dijl est, comme La Pampa, en immersion dans un environnement suffocant. Illustration des questions actuelles post-#MeToo et traduction de la difficulté de libérer la parole, la réalisation subtile et épurée, aborde avec finesse ces thèmes, sans didactisme.

La performance de Tessa Van den Broeck dans le rôle de Julie, incarnant avec justesse cette jeune athlète confrontée à des dilemmes moraux et personnels, écraserait presque la perception du film. Filmé à l’os, avec cadrages géométriques et de judicieux hors-champ, Julie se tait réussit un beau premier service et quelques beaux coups droits gagnants grâce à une profondeur émotionnelle profonde, sans recourir à des dialogues explicatifs. De cette introspection quasi psychanalytique, naît une farouche envie de crier, serrer le poing et d’affirmer, là encore, son identité.

La Pampa
Cannes 2024. Semaine de la Critique
1h43.
Avec Sayyid El Alami, Amaury Foucher, Damien Bonnard, Florence Janas, Artus Solaro, Léonie Dahan Lamort, Axelle Fresneau, Mathieu Demy, Hadrien Heaulmé, Marlon Hernandez, Yannis Maaliou
Réalisation : Antoine Chevrollier
Scénario : Antoine Chevrollier, Bérénice Bocquillon, Faïza Guène
Distribution : Tandem Films

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Julie se tait
Cannes 2024. Semaine de la Critique
1h37.
Avec Tessa Van den Broeck, Ruth Becquart, Koen De Bouw, Claire Bodson, Laurent Caron...
Réalisation : Leonardo Van Dijl
Scénario : Leonardo Van Dijl, Ruth Becquart
Distribution : Jour2fete