Un été olympique et des médailles cinématographiques

Un été olympique et des médailles cinématographiques

Ne nous mentons pas : le véritable événement côté spectacle, divertissement et audience n’était pas un film mais une Olympiade sportive. Les Jeux Olympiques de Paris ont été manifestement un succès : dans les gradins, les fan-zones, les écrans du monde entier (y compris ceux des téléphones puisque le nombre de tetrabits a explosé). Difficile de faire mieux en matière de suspense que la finale de basket femme (même si un scénariste en aurait changé l’épilogue) ou d’avoir en guise de héros des sportifs extraordinaires comme un nageur (Léon Marchand), une gymnaste (Simone Biles), un perchiste (Armand Duplantis) ou un judoka (Teddy Rinner). Question émotions, impossible de surpasser le sport quand il est à la fois fraternel et compétitif, quand les exploits sont incertains ou exceptionnels.

On peut juste regretter que le cinéma ait été si peu présent dans les différentes cérémonies (fabuleuses) imaginées par Thomas Jolly. Sentiment accentué par le sabotage généralisé de la réalisation d’Olympic Broadcast System (défaillance du son, découpage à la hâche, plans incohérents, etc.).

Alors oui, on peut dire qu’il y a eu Lady Gaga, bientôt à l’affiche de Joker : Folie à deux, les Minions (merci Illumination pour ce court hilarant), cette statue en hommage à Alice Guy (qu’on verrait bien près de la Fémis), et ce voyage fantastique où s’entremêlaient Méliès, les frères Lumière, Chris Marker, la Planète des singes… Il y avait bien Jamel Debbouze pour lancer la cérémonie. Mais rien sur le cinéma français, sur la musique de films composée par des Français (pourtant souvent oscarisée), hormis les quelques notes d’Amelie Poulain à la cérémonie d’ouverture des Paralympiques. Pas même un comédien ou une comédienne pour symboliser le rayonnement du 7e art. Quant à la clôture, même déception, laissant la part belle à Tom Cruise (apparemment Omar Sy n’a pas pu lui passer le flambeau comme prévu) avec ses cascades, sa moto et son visage boursoufflé. C’était pourtant l’occasion d’un habile passage de relais entre le pays inventeur du cinéma et Hollywood.

L’été, dans les salles, aura été hollywoodien, justement. L’an dernier, on se félicitait du retour des histoires originales au sommet du box office. Cette année, le public a plébiscité seulement quelques films, et avant tout des valeurs sûres. Si la fréquentation, dans la plupart des gros marchés, reste moins bonne qu’avant le Covid, et même que l’an dernier (pour l’instant), quelques superproductions ont su fédérer très largement.

Médaille d’or : l’animation

À commencer par Vice-Versa 2, énorme carton planétaire (1,7Mds$). Et succès mérité tant le scénario est, de loin, ce qu’il y a eu de mieux venu d’Outre-Atlantique. À l’inverse, si le récit de Moi, moche et méchant 4 était très paresseux, ça n’a pas empêché la bande de Minions (encore eux) d’enthousiasmer le public familial occidental et s’imposer en médaille de bronze (provisoire) de 2024 avec 900M$ de recettes. RL’animation américaine parade puisqu’on peut ajouter les succès de Kung-Fu Panda 4 (550M$ dans le monde) et Garfield (250M$) à ce tableau.

Plus généralement, si on prend le Top 10 américain depuis le début de l’année, on y trouve que des franchises, parfois anciennes (Bad Boys, La Planète des singes, Godzilla, Twisters), et ce, malgré des récits très formatés et des mises en scènes très convenues. Six de ces films dominent tout de même le box office mondial, surclassant les mégaprods chinoises, qui n’accèdent pas aussi aisément aux marchés extérieurs.

Eliminations en chaîne

Pourtant Hollywood doit digérer aussi pas mal de fiascos: Borderlands, Blue & Compagnie, The Fall Guy, Furiosa, To the Moon, Horizon, Blink Twice, qui s’ajoutent à Madame Web et Argylle. Certains échecs laissent indifférents tant le scénario est médiocre et l’ambition artistique absente. D’autres font plus de mal puisqu’on se désole qu’il n’yait plus la place pour certains genres : la comédie, la romance, la rom-com, le drame épique… Et aucune star ne peut les sauver.

Paradoxalement, ce sont les indépendants (Longlegs, Civil War et Challengers) qui ont été les plus rentables au printemps. Pas de quoi décrocher une médaille cependant. Sauf à glâner éventuellement quelques nominations aux Oscars. Ils ont profité d’un décalage temporel du fameux été hollywoodien.

Dopage marketing

Car, pour les studios, l’été avait fondamentalement mal démarré en avril-mai, avant de se lancer véritablement fin juin avec la suite de Bad Boys, pour se prolonger, exceptionnellement tardivement, mi-août (avec de la SF Alien : Romulus et du drame psychologique Jamais plus).

On constate surtout, plus que jamais, qu’Hollywood tourne à vide. Sans ses impressionnantes campagnes marketing et l’exploitation de filons à l’infini, les studios ne produisent plus vraiment rien d’intéressant. Dorénavant, pour attirer le spectateur dans les salles, il faut créer l’évènement, et avant tout, avoir un film qui incite à venir en groupe. Le cinéma devient un loisir collectif aux USA.

Fox : Resurrection

Sans doute cela explique la perte du monopole américain, même si les USA sont toujours champions. Sur les cinquante plus importantes recettes de 2024, on compte désormais onze films chinois, cinq Japonais, deux coréens, un indien, un taïwannais, un australien, et deux français. Quasiment la moitié du Top 50 n’est plus américain. Un éclatement qui souligne l’affaiblissement (relatif) de la machine hollywoodienne.

L’industrie américaine peut d’autant plus s’inquiéter, qu’elle dépend essentiellement de studios plus préoccupés à rassurer leurs actionnaires qu’à vouloir produire des films marquant leur époque. Après un hiver dominé par Warner-Timothée Chalamet (Wonka et Dune 2), et même si Universal, Sony et Paramount ont réussi à placer quelques succès, l’été fut squatté par Disney (46% des recettes). Et plus ironiquement par la Fox et ses « marques », studio racheté en 2019 par le Mickey Mouse. Alien : Romulus (250M$), La Planète des singes (395M$) et Deadpool & Wolverine (1,2Mds$) ont rempli les caisses.

Médaille d’argent : deux super-héros badass

Deadpool & Wolverine, médaille d’argent, 3e opus avec le héros badass de Marvel, a battu ses deux films prédécesseurs (sauf en France où le premier reste leader de la saga). Le film s’offre le luxe de rentrer dans le Top 10 des films avec des héros Marvel, juste derrière Black Panther. Preuve de la cote d’amour énorme pour ce héros solitaire, grossier, tranchant, sarcastique, qui a, cette fois-ci la bonne idée de s’associer avec le X-Men le plus populaire et le plus névrosé, et lui-même le plus badass.

C’est donc ce film qui a été le phénomène estival, en plein J.O! Celui par lequel Marvel a ressuscité d’entre les flops. Un divertissement extra-large, bien sanglant, reposant sur un pitch abracadabrantesque (il faut bien justifier la résurrection de Logan – Wolverine, comme la réapparition d’Elektra, Blade, Gambit et d’un ancien des 4 Fantastiques). Le chef de service (Kevin Feige) n’a pas lésiné sur les moyens pour ce film meta qui passe plus de temps à s’intégrer au MCU qu’à rendre plausible son intrigue. Tout est possible avec les temporalités alternatives et les multivers.

En reprenant les ingrédients phares des Gardiens de la Galaxie (auto-dérision, enthousiasmante playlist vintage, humour décalé, vannes à foison), et en introduisant quelques spoilers (vains?) sur une éventuelle mort de Dr Strange ou de Deadpool (dans les bras de Thor), le film tente de créer du lien entre le MCU d’avant et celui à venir (avec le retour annoncé des Avengers, confirmé à la conférence D23 de Disney).

La moitié des blagues sont sexuelles, l’autre ne ciblent que les ultra-fans de l’univers (avec un clin d’œil à celui du rival DC). Si vous ne connaissez rien à l’industrie hollywoodienne, aux X-Men, aux premiers super-héros de la Fox, aux carrières d’Hugh Jackman et de Chris Evans, et aux précédents films de Deadpool, le film vous échappe compètement. Reste alors un mystérieux Monsieur Paradox (le paradoxe est pourtant au sommet de l’humour intelligent) noyé dans du second degré, du déjà vu (Men in Black et consors) et une bataille de deux mâles alpha qui passent leur temps à comparer la taille de leurs lames.

Elevage en batterie

Bien sûr, c’est drôle, bien rythmé, débridé et moqueur. Evidemment, on comprend que les X-Men vont avoir leur place officielle dans le MCU, paroxysme de la fusion Disney – Fox. Sans doute, Kevin Feige compte sur cet alliage pour que son empire ne meurt pas immédiatement (c’est d’ailleurs en sous texte l’enjeu du pitch).

Et le succès de Deadpool confirme qu’il est peut-être sur la bonne voie en ne se souciant plus de la cohérence des histoires, de la temporalité (merci le multivers qui permet de ressusciter n’importe qui ou de revisiter le passé).

Du côté cinéphile, on espère plutôt que les suites du Joker, de Gladiator et de Beetlejuice, mais aussi Le robot sauvage, Wicked ou Nosferatu confirment les espoirs placés en eux pour montrer qu’Hollywood est encore capable de se regénérer avec un peu de singularité. Mais rien n’est sûr.

Pays hôte, la France se distingue

Seul territoire hors USA et hors Asie à continuer de résister vaillament en défendant un autre cinéma : la France. Car, malgré les J.O., le public français n’a pas déserté les salles de cinéma. Et, hormis le phénomène Vice-Versa 2 (2e plus gros succès Pixar dans le pays) et l’adoration perpétuelle pour les Minions (création maison, rappelons-le), les spectateurs ont fait la part belle a plusieurs autres films très différents.

Par exemple, Twisters, Alien : Romulus, Longlegs, Jamais plus ou Garfield n’ont pas séduit aussi largement qu’ailleurs. De même, le cinéma national a subit de sérieux revers avec les échecs du troisième Largo Winch, Super papa et Le larbin.

Mais, à l’inverse, Le roman de Jim, Golo et Ritchie, Santosh, Les fantômes sont parvenus à lutter contre la concurrence grâce à une bonne critique et ce, malgré une plus faible combinaison de salles et le manque de stars. C’est rassurant pour la cinéphilie : une offre distincte, avec d’autres formes narratives ou visuelles, trouve encore sa place. C’est hélas tout aussi inquiétant de constater qu’aucun film art et essai, y compris ceux cités, n’a dépassé les 400 000 entrées et reste, la plupart du temps sous les 200 000 tickets vendus. Emilia Perez sera l’exception estivale qui confirmera la règle, si on considère que le Jacques Audiard est un film art et essai vu ses moyens, son casting et son nombre de salles dans les multiplexes.

Médaille de bronze : Edmond Dantès

Le champion olympique estival français est ailleurs. C’est l’autre héros de l’été: Le Comte de Monte-Cristo. 7 millions de spectateurs. Il entre donc dans les 100 plus gros succès de l’histoire (depuis 1939). Avec le carton de la comédie bienveillante Un p’tit truc en plus (10 millions d’entrées depuis mai), c’est du jamais vu en dix ans. Les deux films, qui diffèrent tant dans leurs ambitions que par leur budget et leur marketing, ont permis à la fréquentation d’être au plus haut en juillet. Et avec Vice-Versa 2, cela fait trois films au dessus des 7 millions de spectateurs (20 ans que ça n’était pas arrivé).

Le Comte de Monte-Cristo, grosse production, casting catégorie AAA, et histoire patrimoniale mythique, continue de bénéficier d’un excellent bouche à oreilles et ne souffre pas de ses trois heures de durée. La franchise Alexandre Dumas devrait forcément inspirer les producteurs français, après le succès du diptyque Les Trois Mousquetaires.

On assiste à une cristallisation des habitudes autour du cinéma français. D’une part, les comédies ne sont plus ausis porteuses, sauf lorsqu’un sujet social les sous-tend. Fini Dany Boon, place à Artus ou Golo et Ritchie. Le patrimoine revisité fait merveille, pourvu qu’il ait le sens du spectacle, et anihilie toute crise identitaire. Et les films plébisicités à Cannes continuent de surperformer par rapport aux autres côté art et essai.

Records vs Panache

Ainsi va le cinéma. Alors que les plateformes n’ont rien proposé d’intéressant cet été (Netflix a balancé un sous-film d’action, The Union, écrit avec des algorithmes, et une suite très paresseuse et datée du Flic de Beverly Hills), qu’Hollywood n’a pu compter que sur quelques films pour effacer de grosses ardoises, que l’Asie s’autosuffit presque, et que le public français, pourtant plus cinéphile que les autres, s’est réfugié dans des valeurs sûres et rassembleuses, de nombreux films ont échoué à remplir les salles. La fréquentation se concentre de plus en plus autour de quelques titres (dont parfois on surévalue la qualité par ailleurs), et dont très peu marquent véritablement les esprits.

Or, on le voit bien depuis la crise sanitaire de la Covid : les spectateurs aiment être surpris autant que séduits, peu importe le genre. À trop catalyser les narrations dans un format classique, à trop fabriquer des produits de consommation sans âme, le cinéma perdra fatalement de son intérêt.

Espérons alors que les films de Cannes et de Venise ramènent un peu de diversité et d’intérêt. Et il y a des promesses de médailles dans chacune des catégories avec des films passionnants qui s’annoncent. Au hasard, outre Joker, Gladiator, Le robot sauvage et Nosferatu, il y aura ces prochains mois Les graines du figuier sauvage, Ma vie ma gueule, All we imagine as light, Anora, Lee Miller, Miséricorde, Flow, Vingt dieux, Leurs enfants après eux

Car on peut s’emballer pour des champions olympiques / cinématographiques, on peut toujours croire que l’important c’est de participer, il n’empêche : si de très bons films, tous genres confondus, ne parviennent plus à se qualifier auprès d’un public assez large, c’est tout le processus de financement et de création qui risque d’être bouleversé. On félicite les gagnants de l’été, mais on rêve aussi qu’un autre cinéma soit possible. Et vu.