En quoi le Festival de Cannes est-il toujours incontournable ?

En quoi le Festival de Cannes est-il toujours incontournable ?

Il y a différentes manières de faire le bilan d’un festival. Souvent, la mesure se fait avec le box office national, français, américain, mondial…

Le critère du chiffre

Avec 570 000 spectateurs en France, la Palme d’or de l’an dernier, Sans Filtre peut s’enorgueillir d’un score plus qu’honorable pour un film d’auteur (et du plus gros score pour un film suédois depuis Millénium Le film en 2009). C’est davantage que Titane, palme précédente ou même The Square, du même réalisateur. Mais cela reste très en dessous des succès récents comme Parasite, Une affaire de famille, Moi Daniel Blake ou La vie d’Adèle.

Cependant Cannes ce n’est pas qu’une Palme d’or. Outre le carton mondial de Top Gun : Maverick (hors compétition), deux autres films présentés sur la Croisette ont dépassé le million de spectateurs en France : Novembre et Elvis. Mascarade et L’innocent suivent de près.

Côté compétition, le bilan est aussi flatteur dans une année où la fréquentation a fortement souffert. Derrière Sans Filtre, on retrouve une autre production suédoise, La conspiration du Caire (prix du scénario, 520 000 spectateurs), puis Decision to Leave (prix de la mise en scène, 305 000 spectateurs, 3e plus gros succès coréen en France), Les Amandiers et Les bonnes étoiles, au-dessus des 200 000 cinéphiles. Et c’est sans compter les films en sélection officielle comme As Bestas et La nuit du 12, ou à la Quinzaine comme Ouistreham, Revoir Paris et Le parfum vert.

Il y a un effet Cannes, incontestablement, dès que le film est récompensé, ou bien distribué.

Cependant, si le Festival est à ce point prisé des professionnels et des médias, c’est aussi parce qu’il agrège souvent le meilleur du cinéma de nombreux pays.

Ainsi, pour l’édition 2022, les films cannois ont fait un carton (presque) plein dans les différentes cérémonies des académies professionnelles. Difficile de ne pas trouver un film cannois dans les tableaux d’honneur ou palmarès en Europe comme en Amérique ou en Asie.

C’est un autre critère pour faire le bilan d’une édition.

Cannes Première en première classe

En France, les César ont sacré La nuit du 12 (Cannes Première) avec 6 prix (film, réalisation, adaptation…) et récompensé par ailleurs Virginie Efira (Revoir Paris, à la quinzaine), Benoît Magimel (Pacifiction, en compétition) mais aussi L’innocent (hors compétition) et Les amandiers (en compétition), tout comme As Bestas (Cannes Première), élu meilleur film étranger contre quatre films cannois!

As Bestas, justement, a été le grand vainqueur des Goyas espagnols avec neuf récompenses (film, réalisateur, acteur, scénario…). De la même manière, les David Di Donatello italiens ont plébiscité Les huit montagnes (prix du jury) avec quatre récompenses dont celles de meilleur film et de meilleur scénario d’adaptation. L’autre grand gagnant est la fantastique mini-série de Marco Bellocchio, Esterno notte (séances spéciales à Cannes) qui remporte le prix de la meilleure réalisation et du meilleur acteur. Nostalgia (compétition) et Chiara (Quinzaine des réalisateurs) étaient aussi nommés. Sans filtre et Elvis concourraient dans la catégorie meilleur film étranger.

Un bonus pour les films en compétition?

En Belgique, les Magritte ont consacré Close (compétition) dans les catégories meilleur film flamand (face aux Huit montagnes), meilleurs seconds-rôles féminin et masculin, meilleur espoir masculin, meilleure image, meilleurs décors et meilleur scénario, La nuit du 12 dans les catégories meilleur film étranger en coproduction et meilleur acteur (Bouli Lanners), Virginie Efira comme meilleure actrice (avec Revoir Paris), et Rien à foutre (Semaine de la critique) pour son montage. Les prix Ensors (côté flamand) ont évidemment fait triompher Close avec six prix (dont meilleur film et meilleure réalisation).

Même razzia en Suède avec les prix Guldbagge. Sans filtre a tout raflé : film, réalisation, seconds-rôles féminin et masculin, costumes, maquillages. Le palmarès a laissé à La conspiration du Caire le prix du meilleur scénario.

Et en Roumanie, les prix Gopo ont couronné Radio Métronom (Un certain regard) avec les prix de la direction artistique, de l’image, des costumes, du maquillage.

Logiquement, les European Film Awards ont suivi la tendance. Sur les cinq nommés pour le prix du meilleur film, quatre étaient sélectionnés à Cannes : Close, Corsage, Holy Spider et Sans filtre, qui a remporté le prix, ainsi que ceux de la réalisation, du scénario et de l’acteur. L’actrice Vicky Krieps pour Corsage (Un certain regard) a triomphé, et Eo (compétition) a eu les faveurs du collège étudiants.

Petites exceptions européennes : les Baftas britanniques, qui ont préféré souvent des films présentés à Venise. Mais Elvis (meilleur acteur, meilleurs costumes) a sauvé l’honneur cannois. Retenons malgré tout que de nombreux films projetés sur la Croisette étaient nommés : Aftersun (Semaine de la critique), Decision to Leave (compétition), Top Gun : Maverick (hors compétition), Corsage (Un certain regard), Sans filtre (compétition).

En Allemagne, le Deutscher Filmpreis a plébiscité un film Netflix au détriment de Holy Spider (3e meilleur film, quatre nominations au total).

Plus loin, pas moins d’effet

En Corée du sud, Decision to Leave a fait l’unanimité aux Grand Bell Awards (film, acteur, scénario) et Hunt (séances de minuit) a remporté un prix technique. Et en Australie, Elvis est reparti avec les prix du meilleur acteur et de la meilleure réalisation.

Outre-Atlantique, les prix Ecrans canadiens ont distingué Falcon Lake (Quinzaine des réalisateurs) dans la catégorie premier long métrage, tandis que Crimes du futur (Compétition) a été distingué pour ses effets visuels

Les Oscars ont été plus généreux avec les sélections cannoises. Trois films étaient nommés dans la catégorie suprême (Elvis, Top Gun et Sans filtre). La Palme d’or était même nommée pour sa réalisation et son scénario original. Cannes porte bonheur malgré sa place précoce dans le calendrier : Aftersun (nomination acteur), Top Gun (un Oscar du meilleur son, cinq autres nominations), Elvis (8 nominations), Eo et Close (dans la catégorie meilleur film international) ont eu les honneurs du tapis rouge hollywoodien.

Et c’est sans compter les prestigieux palmarès de critiques américains. Pour les new yorkais, Eo (meilleur film étranger), Top Gun (meilleure image) et Aftersun (meilleur premier film) ; pour les angelinos, Sans filtre (meilleur second-rôle féminin), Eo (meilleure image et meilleur film étranger), Aftersun (meilleur montage), Davy Chou (Retour à Séoul, Un certain regard, prix nouvelle génération ; pour le National Board of Review, Top Gun (meilleur film et meilleure image), Aftersun (meilleur première réalisation), Close (meilleur film international).

En voyant ces listes de prix et distinctions, on ne peut vous prévenir que d’une chose : les films de l’édition cannoise 2023 seront à coup sûr dans les palmarès de fin d’année. Ce qui explique pourquoi Cannes reste l’événement cinématographique le plus important au monde. Sans doute, aussi, parce qu’un film présenté à Cannes, même s’il n’est pas le meilleur ou le plus original ou le plus impressionnant, bénéficie d’un coup de projecteur unique au monde (des milliers de journalistes et de professionnels), qui permet de le valoriser par la simple force du buzz…

Avec un marché international qui reprend de la vigueur, les films projetés sur la Croisette continuent d’être parmi les plus attractifs de l’année, qualitativement et commercialement. Mais aussi parce qu’ils sont « cannois ». Une sorte de label qui les élève au-dessus du commun des films de l’année.